Francesco Benucci (v. 1745-1824), le premier Figaro de Mozart
Eau-forte de
Friedrich John (1769-1843)
d'après
Delffacister
Ce baryton
basse italien est passé à la postérité pour avoir créé Figaro (Le
Nozze di Figaro), le 1er mai 1786, ainsi que Guglielmo (Cosi fan
Tutte). Le 26 janvier 1790 ; il reprit le rôle de Leporello dans la
production viennoise de Don Giovanni (7 mai 1788) pour laquelle Mozart
rajouta le duo Per queste tue manine (K 540c).
Le
compositeur de Salzbourg pensa également à lui pour le rôle de Bocconio
dans Lo Sposo Deluso, opéra resté inachevé, écrit vers 1783-1784.
Ce chanteur,
quelquefois appelé à tort « Pietro » dans certains ouvrages, aurait étudié le
chant à Pistoia et commença sa carrière comme basso buffo ; cet emploi
se caractérisait plus particulièrement dans l‘opéra comique italien du temps
(dit opera buffa ou encore dramma giocoso) par des rôles de
barbons amoureux, tuteurs bernés, valets balourds ou finassiers, pères abusés
ou amoureux éconduits. Ses premiers emplois se caractérisent par des rôles de buffo
caricato,
Les
premières apparitions documentées sur une scène d’opéra eurent lieu à Livourne, dans Don Tritemio (Il
Filosofo di campagna de Galuppi) et Toniolo (Gli Uccelatori de
Gassmann -le nom du compositeur ne figure pas dans les recensions de Sartori,
il a été identifié par Angermüller et Link) en 1768. On le retrouve à Florence,
l’année suivante, dans le rôle de Polidoro dans Il Ratto della Sposa (de
Guglielmi).
On perd sa
trace en Italie entre le printemps 1769 et l’automne 1777.
Certains
attribuent cette absence à une tournée en Espagne, au cours de l’année 1769,
avec une troupe italienne ; il se serait produit dans les théâtres de
cour, puis en particulier à Madrid. Mais cette assertion n’est pas pleinement
attestée.
On trouve
cependant trace, dans les archives madrilènes, de la présence d’un Francesco
Benucci, directeur d’une compagnie lyrique, lequel était associé à Geronimo
Borsello et Carlo et Luigi Zanini. Cette compagnie donna des représentations à
San Idelfonso en 1776 (après 5 ans d’inactivité dans les théâtres des Reales
Sitios, les palais d’ Aranjuez, de San Idelfonso et de l’Escorial dans
lesquels des compagnies itinérantes italiennes s’étaient produites entre 1767
et 1771). Cette compagnie signa un acte notarié avec la municipalité de Madrid
en 1776 pour donner des représentations au théâtre Caños del Peral pour la
saison d’hiver de cette même année.
Benucci
aurait quitté cette compagnie en 1777 et reprit la route des grands opéras de
la péninsule italienne, preuve que son renom lui valait des engagements plus
prestigieux.
Les années italiennes
Voici une liste de ses engagements principaux dans les années 1770-1780, tels que nous les ont transmis, pour la plupart, les livrets imprimés (recensés par Claudio Sartori) des opéras dans lesquels il s’est produit (Les * indiquent des rôles écrits spécifiquement pour Benucci) :
1777
Bologne : Canziano dans Il Zotico incivilito (Anfossi)
1778
Bologne : Orgasmo dans L’Avaro ; Don Fabrizio dans La
Frascatana (Paisiello) ; Nargum dans La Schiava fedele (Amendola)
Gênes : le Comte Zeffiro dans La Vendemmia
(Gazzaniga)
Venise : *Naimur dans L’Americana in Olanda (Anfossi)
et Frasconio dans I contratempi (Sarti)
1779
Venise : *Serse dans Gli Eroi de’Campi Elisi (Traetta/Astarita)
et Geminiano dans lL’Inimico delle donne (Galuppi)
Milan : *Gasperone dans Il Francese bizzaro
(Astaritta) et Cecchino dans Le Gelosie Villane (Sarti)
Monza : le Comte Zeffiro dans La Vendemmia
(Gazzaniga)
Turin : Gasperone dans Il Francese bizzaro
(Astarita) ; Don Polidoro dans L’Italiana in Londra (Cimarosa) ; Don
Fabrizio dans Il matrimonio per inganno (Anfossi) et Pulipodio dans Il
militare bizzarro (Sarti)
1780
Florence : Don Fabrizio dans La Frascatana (Paisiello) et Don Polidoro dans L’Italiana in Londra (Cimarosa)
Florence : Don Fabrizio dans La Frascatana (Paisiello) et Don Polidoro dans L’Italiana in Londra (Cimarosa)
Milan : Fabrizio dans Gli Antiquarii in Palmira
(Giacomo Rust) ; Don Fabrizio dans La Frascatana (Paisiello) et Barone Astolfo
dans Le Nozze in contrasto (Valentini)
1781
Le Dizionario
biografico degli Italiani mentionne un premier séjour viennois cette
année-là : « La fama di successi teatrali del Benucci arrivò presto a
Vienna, dove fu chiamato nel 1781. Di questo primo soggiorno viennese non si
hanno notizie precise, ma se non pare che sia risultato felice ; il Benucci
abbandonò la città nello stesso anno.»
Si le fait
est exact, il se peut qu’il ait eu un contrat provisoire pour une ou deux
œuvres, dans une des troupes indépendantes qui avait licence de louer un des
théâtres de Vienne. En effet, si Joseph II refusait de protéger l’opéra
italien, il n’en avait pas pour autant refusé les représentations aux
impresarii indépendants. Il semblerait donc que Mozart ne l’ait pas vu se
produire ; il n’y a en tout cas aucune mention de Benucci dans sa
correspondance d’alors, mais comme le compositeur était fort occupé par
ailleurs, cela peut s’expliquer.
Nous n’avons
pu retrouver les dates précises de ce premier séjour viennois dans aucun autre
ouvrage, et Dorothea Link, dans ses travaux qui font autorité pour
l’historiographie des interprètes mozartiens, ne le mentionne pas non plus. Il
est donc loin d’être certain.
Rome : *Barone Cricca dans Il Pittor Parigino
(Cimarosa) ; *Gianfriso dans Gl’inganni scambievoli et le comte Vislingh
dans I matrimoni per sorpresa (G Curcio)
Livourne : Barone Astolfo dans Le Nozze in contrasto
(Valentini)
Florence : Don Polidoro Pistacchini dans L’Italiana in
Londra (Cimarosa)
Ces deux
opéras virent débuter sa collaboration artistique avec Ann(a) Selina Storace.
1782
Après un
passage à Rome, où il crée Don Faloppio dans Le Avventure di Don
Faloppio (A Tarchi), il se produit de nouveau à Monza (Geronimo, Le
Sorelle rivali de Valentini), à la Scala de Milan (Baron Cricca dans
Il Pittor Parigino) et crée Titta dans Fra i due litiganti il terzo gode
de Sarti.
1783
Après être
retourné à Rome, où Benucci crée Don Demofonte de I due Baroni di
Rocca Azzura (Cimarosa) et Don Pascozio Pascariello dans Il Guerriero
immaginario (Tarchi) pour le carnaval, il fut recruté en dehors de
l’Italie.
Benucci fut
alors engagé dans la nouvelle troupe italienne de Vienne en 1783. Joseph II
avait demandé à son ambassadeur à Venise, le comte Durazzo, de contacter les
meilleurs chanteurs buffa d’Italie.
Comme
Benucci était l’un des plus grands interprètes italiens dans cette catégorie,
il fut l’un des premiers choix. Il gagna donc Vienne, avec Ann(a) (dite Nancy)
Storace –considérée à tort comme italienne-, Stefano Mandini –son grand rival
pour les emplois- et sans doute Michael Kelly.
Salieri qui
avait passé quelques années en Italie, sans emploi réel depuis l’arrêt de
l’opéra italien à Vienne, a peut-être été impliqué dans ces choix.
1783 : le Burgtheater
Benucci
devint rapidement le chanteur le plus admiré parmi les « italiens ». Dans une
lettre datée du 7 mai 1783, Mozart écrit à son père :
« Voici que l’opera buffa italien a fait ici sa
réouverture. […] le buffo est particulièrement bon, il s’appelle Benucci
».
Il fit ses
débuts au Burgtheater (le théâtre impérial de Vienne) dans le rôle de Blasio,
dans un opéra de Salieri révisé pour l’occasion, La Scuola de’gelosi, le
22 avril 1783. Le succès fut éclatant : le public était avide de ces intrigues
enlevées pleines de coups de théâtre et d’airs comiques, dans lesquelles les
dons d’acteurs de Benucci étaient un atout énorme.
Il enchaîna
avec L’Italiana in Londra de Cimarosa, le 5 mai, et fut encore acclamé
avec Titta (Fra I due litiganti il terzo gode, dès le 28 mai 1783. Cet
opéra, l’un de ceux qui eut le plus de succès à Vienne au cours de la décade,
est désormais connu seulement par la citation que Mozart fit d’un des airs
favoris “ Come un agnello dans le finale de Don Giovanni.
Dès la
constitution de la troupe, le primo buffo affirma sa prééminence
artistique, comme en témoigne la correspondance entre l’empereur Joseph II (qui
gardait un œil attentif au recrutement et à la programmation de son théâtre),
et le grand chambellan, responsable des théâtres impériaux, le Muzikgraff,
le comte Orsini-Rosenberg.
Dans un
mémorandum en allemand, daté du 2 juin 1783, l’empereur remarque :
« […] Comme il me semble que Benucci semble être en
faveur auprès du public, je souhaite que vous le convainquiez de rester jusqu’à
Pâques, et par la suite, une année encore ; s’il accepte, dans un nouveau
contrat, et si Storace, qui est, elle aussi appréciée du public, reste, vous
pourrez garder le meilleur de la troupe ; si Benucci et Storace ne restent pas,
les autres n’auront pas à être conservés. »
Dans une lettre
datée du 19 juillet 1783, il ajoute :
« […] Quant à l’opera buffa dèsque Benucci ne veut
point rester, il ne vaut pas la peine de garder les autres, le Public aura sans
cela déjà emoussé son enthousiasme jusqu’à la fin du Carneval. Il sera tems de
distribuer tout de suite les roles du Barbier de Seville, afin de tirer encore
parti pendant la presence de Benucci. […]»
Et encore,
le 25 juin :
« […] Vous aurez vu par le dernier courir [sic] ce que je pense sur l’opera buffa,
ces Messieurs et belles Dames neu veullent pas rester au même prix à un Ducat
près qu’ils sont actuellement engagés, et surtout si Benucci doit être engagé
pour 3 ans pour pouvoir le garder, il n’en vaut plus la peine, et on n’a qu’a
leur laisser finir leur contracts et en tirer tout le parti possible, et les
laisser après partir tout simplement et on tâchera de se pourvoir de quelques
chanteurs allemands pour remettre sur le theatre les operas allemands. Voilà
mon dernier mot. […]»
En juillet,
Benucci se produisit dans Il Fallegname de Cimarosa, mais c’est l’opéra
suivant, qui lui vaudra une reconnaissance artistique plus importante.
Benucci
confirma sa popularité avec la première du Il barbiere di Siviglia de
Paisiello, le 13 août : son Bartolo fut unanimement loué. Il partageait l’affiche
avec Rosina (Nancy Storace), Almaviva (Mandini) et Figaro (Bussani).
Dans une
lettre du 14 août, Joseph II rend compte à Orsini-Rosenberg du succès de la
première :
« […] J’ai tardé à repondre à la lettre que vous
l’avés écrite pour vous donner nouvele de la reussite du Barbier de Seville,
qu’on a joué hier, ils s’en sont tirés pour l’action en verité au dela de
l’esperance, surtout Benucci qui dans des certains moments a copié et même
frisé Schröder. [Le grand acteur allemand qui tenait le même rôle dans la
pièce de Beaumarchais] […] Ce que vous m’écrivés de Benucci il me paroit
qu’il faut attendre, si le Nonce fera quelque démarche et je crois qu’il ne
faut rien lui faire dire jusqu’alors. […] »
En septembre
1783, Benucci chanta également dans Le Gelosie Villane avec A. Storace,
Aloysia Lange, Michael Kelly, Bussani, Saal et Theresia Teyber.
Rome : 1783-1784
En novembre
1783, le chanteur retourna en Italie pour remplir un contrat romain,
préalablement signé pour la saison 1783/1784. C’est ce contrat et le
renouvellement de son engagement viennois qui semble avoir fait l’objet de
tractations financières acharnées, comme en témoignent les extraits de
correspondance ci-dessus.
On
l’entendit aussi dans Don Tolipano (I matrimoni impensati de Cimarosa),
et surtout dans I Vicende d’amore (rôle du Conte Caramella, qu’il créa).
Ce dernier
emploi, ainsi que le succès que remporte l’interprète, font l’objet de
courriers de Joseph II, en voyage dans la péninsule :
« […] Benucci a un succés etonnant à Rome. […] Je
crois que’ je pourrai vous envoyer un Spartito d’une piece dans laquelle
Benucci a chanté et dont je vous envoie en attendant le livret (dans la
marge : Le Vicende d’amore) […] » (31 décembre 1783) et « […] Benucci
en [Rome] fait les délices. […] » (20 janvier 1784)
Mais, curieusement,
quand cet opéra fut repris à Vienne en 1784, ce fut avec Stefano Mandini.
Vienne : mars 1784-avril 1789
De mars 1784
à 1795, il resta à Vienne quasiment sans interruption, hormis un séjour
londonien en 1789.
Ses rôles
principaux à Vienne, sont les suivants :
Taddeo dans Il
Re Teodoro in Venezia de Paisiello (23 août 1784)
Un rôle dans
Giannina et Bernardone de Cimarosa (septembre 1784)
le Marchese
Tulipano dans La contadina di spirito (6 April 1785) de Paisiello.
Rosmondo*
dans l’opéra de Stephen Storace, Gli sposi malcontenti (1er juin 1785)
Trofonio*
dans La
grotta di Trofonio (12 octobre 1785) de Salieri
Ferramondo*
dans Il burbero di buon cuore (4 janvier 1786)
Il Maestro*
dans Prima la musica e poi le Parole (7 février 1786 ) de Salieri
Uberto dans La
serva padrona de Paisiello (26 mars 1786) lors d’un concert privé chez le prince
Auersperg.
Figaro* dans
Le Nozze di Figaro de Mozart (1er mai 1786)
Pierotto
dans I Finti eredi (1 août 1786) de Sarti
Tita dans Una
cosa rara (17 novembre 1786) de Martin y Soler
Basse* dans
l’oratorio Gioias de A Teyber (22 et 23 décembre 1786)
Le
rôle-titre* dans l’opéra de Salieri, Axur, re d’Ormus (8 janvier 1788)
Leporello(*
pour le duo rajouté) dans Don Giovanni de Mozart (7 mai 1788)
Corbaccio (
?)* dans Il Pastor Fido de Salieri (selon John Rice, qui pense que la
similitude d’un air est sans doute une allusion à un air de Figaro)
Bonario*
dans le pasticcio l’Ape musicale sur un texte de Da Ponte (27 février
1789)
En août
1788, Joseph II fut sérieusement tenté de licencier tous les chanteurs italiens
qui demandaient une augmentation pour ne garder que Benucci et les chanteurs
allemands (La guerre contre les Turcs taxait les finances de l'Etat) comme en
témoigne la lettre suivante :
« C’est ici au Banat, où je suis en pleine marche avec
une partie de l’armée que j’ai reçu votre lettre du 7. Vos reflexions sur
l’Opera sont fort justes, mais il faut songer désaprésent à faire les
dispositions préalables pour sa dissolution future de la manière que je vous ai
fait connoître plus particulièrement par une lettre postérieure de la quelle
Thorwart vous aura rendu compte depuis.
Les Denonciations [sous entendu, de contrats] seront
donc faites incessament à toutes les membres de l’Opera tant à Vienne qu’en
pais etranger, comme a Cavalesi et la Ferraresi [….] » (lettre du 18 août 1788)
L’empereur
se préoccupa cependant du sort de son primo buffo et le recommanda à son
frère Leopold à Florence, en décembre 1788 et janvier 1789.
L’opéra ne
fut finalement pas dissout, mais Benucci s’était employé à obtenir un contrat
avec l’opéra italien de Londres (où travaillait alors Nancy Storace) : il
obtint donc un congé pour honorer ce contrat.
Londres : mai-décembre 1789
En 1789, il
obtint un second congé pour se produire à Londres, au King’s Theatre (le
théâtre italien) où il reprit son vieux succès, le comte Zeffiro dans La
Vendemmia. La première eut lieu le 9 mai ; il retrouva dans cette
production Nancy Storace qui chantait Agatina, et ils introduisirent le duo “ Crudel
! perchè finora farmi languir cosi ” des Nozze di Figaro.
C’est sans
doute la première fois qu’un extrait d'un opéra de Mozart était donné sur une
scène londonienne.
Ce morceau
n’était pas la seule insertion, puisque on ajouta également des airs de
Storace, Carlo Pozzi et Angelo Tarchi au milieu de la partition de Gazzaniga.
On privilégiait à Londres les pasticcios, un mélange des airs préférés
par les interprètes et non pas une fidélité absolue à l’œuvre originale.
Le duo fut
publié, ce qui donne une bonne indication de sa popularité, sous le titre
suivant « Crudel perche finora : a favorite duett, as it is sung in the
comic opera of La vendemmia, at the King's Theatre in the Hay Market. By Sigre
[sic] Benucci & Sigra. Storace / composed by W.A. Mozart. London : Printed & sold by Rt. Birchal [sic] » [1789?]
Le buffo
participa aussi à La Buona Figliola de Piccini en mai, (peut-être dans
le rôle de Tagliaferro)-sans Storace-, et également avec Storace à Il
barbiere di Siviglia de Paisiello en juin 1789. Ce fut leur dernière collaboration.
Le succès
n’était pas réellement au rendez-vous pour ce grand interprète acclamé sur les
scènes continentales, car ces opere buffe étaient considérés comme trop
difficiles, et le public n’aimait que les mises en scènes fastueuses et les ballets,
et ne comprenait pas forcément l’italien, comme cela avait été le cas à Vienne.
Benucci
semble, de surcroît, avoir pâti de la comparaison avec d’autres artistes, dont
la voix, plus volumineuse, était à leur avantage.
Le King’s
Theatre brûla le 17 juin 1789, ce qui compliquait les choses, et Benucci ne
renouvela pas l’expérience. Son contrat venait sans doute également à
expiration à la fin de la saison.
Affiche du
Matrimonio Segreto de Cimarosa (1792)
Vienne : décembre 1789-1795
Tout juste
revenu de Londres, Benucci crée vraisemblablement Rusticone dans La Cifra
de Salieri, le 11 décembre 1789. La Gazetta universale de Florence
précise que parmi la distribution se trouve « il Sig. Benucci, cognito
abbastanza per la sua abilità per l’arte comica […] » [le Signore Benucci,
connu de tous pour ses talents comiques].
Les prises
de rôles pour ces dernières années viennoises sont peu nombreuses, le chanteur
se borna principalement à reprendre ses succès antérieurs.
Il se
distingua dans Guglielmo (Cosi fan tutte) créé le 26 janvier 1790, mais
dont la carrière est coupée court par la mort de l’empereur Joseph II et la
fermeture des théâtres qui s’ensuivit.
Le nouvel
empereur Leopold II avait d’autres tâches pressantes que la réorganisation du
Burgtheater : les choses allèrent donc leur train, et Benucci n’ajouta à son
répertoire qu’un nouveau rôle, dans La Pastorella nobile de Guglielmi,
ainsi qu’un rôle non identifié dans L’amor contrastato, ossia La Molinara,
de Salieri donné entre 1790 et 1809 à Vienne, avec Adriana Ferrarese et Gasparo
Bellentani.
Il participa
également à la reprise rénovée du pasticcio L’ape musicale rinnuovata
(Bonario) le 23 mars 1791.
Son dernier
grand succès à Vienne fut la création du Comte Robinson dans le Matrimonio segreto de Cimarosa
le 7 février 1792 (avec Dorothea Bussani (Fidalma), Irene Tomeoni (Carolina),
Giambattista Serafino Blasi (Geronimo), mais il laissa une empreinte sur le
public jusqu’à la fin de son engagement, puisque Zinzendorf, faisant un
commentaire sur son interprétation dans la La Frascatana le 14 décembre
1794, écrivit que Benucci avait joué « comme un ange ».
Les dernières années italiennes : 1795-1800
Son
engagement avec Vienne rompu en 1795, il repartit en Italie.
On le
retrouve en 1795 à Milan : il interprèta successivement Bernardo (Gli
artigiani d’Anfossi, Titta (Fra i due litiganti…) et crée le Conte
Caramella dans L’impostura poco dura de Tarchi.
Il se rendit
en 1796 à Rome, durant le carnaval : on le retrouve dans Sosio (L’anello
incantato de S. Palma) et il crée le rôle de Grufo Papera (I nemici
generosi de Cimarosa).
Ses derniers
engagements répertoriés furent ceux de Livourne, en 1797 (il y reprit son
cheval de bataille de La scuola de’ gelosi et Bonario dans La
capricciosa coretta.)
Les quatre
opéras qu’il chanta en 1800 dans cette même ville sont les dernières traces de
son activité professionnelle : I Medico de’bagni (S. Nasolini), La
Pescatrice (Guglielmi), Le tre orfanele et Furberia e puntiglio
(R. Benucci).
Il mourut en 1824 à
Florence où il s’était retiré.
Silhouette de Hieronymus Löschenkohl
(tirée du Wiener Musik- und Theater-Almanach, 1786).
Jugements de ses contemporains : critiques et potins…
Selon les
critiques, les journaux et les mémoires du temps, Benucci était un acteur
exceptionnel. Il dirigeait occasionnellement ses collègues pour les mises en
place des entrées et des sorties –à l’époque le metteur en scène n’existe pas
et c’est un acteur ou le librettiste qui règle ce que l’on appelle maintenant
mise en scène. Cette volonté de contrôler son propre travail semble avoir posé
de quelques problèmes de préséance avec Bussani ou Da Ponte à Vienne.
Benucci fut
loué pour ses manières naturelles et sa présence scénique, qualités qui lui
assuraient des triomphes.
Michael
Kelly dans ses Reminiscences, le qualifie –lui et Mandini- de “les
deux meilleurs chanteurs comiques d’Europe”.
Son texte le
plus connu relatif à Benucci est évidemment sa relation de répétitions des Nozze
du Figaro:
« Je me rappelle la première répétition avec l’orchestre au complet : Mozart était sur la scène, portant une pelisse écarlate et un tricorne orné de galons doré, pour indiquer le mouvement à l’orchestre. Benucci chanta l’air de Figaro “ Non più andrai, farfallone amoroso ” avec une animation et une puissance extraordinaire. Je me tenais près de Mozart, qui répétait sotto voce “Bravo ! bravo ! Benucci” ; et quand Benucci en arriva au magnifique passage “ Cherubino,, alla vittoria, alla gloria militar ”, qu’il lança d’une voix de stentor, l’effet fut comparable à celui de l’électricité, car tous les exécutants, sur la scène et dans l’orchestre, comme poussés par un même élan de plaisir se mirent à clamer “ Bravo ! Bravo ! Maestro. Viva, Viva grande Mozart ! ” »[Reminiscences, publiées à Londres en 1826. Traduction de Michel Noiray.]
Selon Kelly,
l’interprète était cependant "ugly as sin [laid comme le
péché]", ce qui ne semble pas avoir influencé son public.
Pour le Berliner
Musikaliche Zeitung (1793), peu enclin à louer les italiens,
«Benucci, un des premiers Buffo de l’opera buffa,
associe un jeu sans affectation et excellent avec une voix de basse
exceptionnellement ronde et belle. Il est autant chanteur qu’acteur et possède
un talent rare que peu de chanteurs italiens possèdent ; il ne verse jamais
dans l’outrance. Même lorsqu’il porte son art aux extrêmes, il garde une mesure
qui l’éloigne de la comédie vulgaire. […] »
On trouve a
contrario dans un pamphlet anonyme très critique contre l’œuvre, issu lors
de la création de L’arbore di Diana de Martin Y Soler (dont la première
eut lieu le 1er octobre 1787) :
« XIVmo. Enfin, croiriez-Vous Monsieur, qu’ayant un
Benucci à Vienne, on puisse avoir la bétise de ne pas l’employer du tout dans
une pareille occasion ? Cela Vous parait-il pardonnable ? Et comment concevoir,
que la direction puisse se laisser endormir à ce point et femer les yeux sur
tout ?
Oh tolérance ! Oh nonchalance ! […] »
Le comte
Zizendorf, dont les journaux sont si précieux pour reconstituer la vie de
l’opéra dit qu’il est “très bon” et en d’autres occasions, “admirable”. En glanant
dans ses notes, on tombe également sur les annotations suivantes :
“ 23.Aout [1784] A 6h 1/2 a l'opera Il Re Teodoro in
Venezia [...] on fit repeter cet air celui de Benucci dans la 6me Scene »
« 3.Janvier
[1785]: A l'opera. J'arrivois au second acte du roi Theodore. La Storace joue
fort bien, Benucci fut tres fort. »
« 10.Aout [1785] Le soir au Spectacle. La Contadina de
Spirito .Benucci et Mandini singuliérement bouffons. »
7.Mars [1789]: Le soir al'opera.Le Duo de la Cosa rara
executa entre les deux femmes et Benucci qui les fesoit s'embrasser la Laschi
se laissant aller sur lui amoureusement. […]
« 15.Septembre [1789]: Le soir a l'opera. Una Cosa
rara. Benucci y debuta et fut reçu avec des applaudissemens prodigieux. Il
chanta deux jolis airs etrangers a l'opera l'un l'eloge des femmes, l'autre des
cornes […] »
« 19.Avril: [1790 Le soir au Theatre. Il Re Teodoro in
Venezia. Pas mal joué. Benucci anime tout […] »
« 2.Novembre
[1791] Le soir au Spectacle La molinara. La Tomeoni joua avec beaucoup de
grace, elle et Benucci firent beaucoup fire la Duchesse de Polignac qui etoit
dans la loge de l'amb. d'Espagne. »
Francesco
Benucci semble avoir été un musicien accompli, capable de déchiffrer à vue au
clavier, une capacité que bien des chanteurs de l’époque ne possédaient pas (de
nombreux ne pouvaient pas même lire la musique !) On a deux témoignages de ses
talents de musiciens par Zizendorf, puisque Benucci accompagna Anna Storace au
clavier lors d’un concert privé où elle interpréta un air favori du castrat
Marchesi, qui fut également parodié lors de Prima la musica, poi le parole
:
1.Juillet [1783] […]. la Storace chanta un air de
Julia Sabina (sic) opera
seria de Sarti, tandis que Benucci joua du clavecin, puis elle joua de clavecin
et lui chanta un air de Pittor Parigino de Sarti.
Benucci
donna finalement peu de concerts, semblant plus à l’aise sur scène : il ne
semble pas avoir mis beaucoup à profit son droit de concert à bénéfice annuel :
Dorothea Link n’a retrouvé la trace que de l’un d’eux, pour tout son long
séjour viennois.
On ne sait
pas grand-chose de sa vie personnelle et familiale. Il n’y a pas de mention
explicite d’une épouse ou de proches parents, bien qu’un Giovanni Benucci
(actif à Naples en 1782), un Giuseppe Benucci (actif Lucques en 1786), une
Luisa Benucci (active à Gênes en 1778) , une Marianna Benucci Cavazza
(peut-être une sœur ? – active à Pesaro en 1776) puissent lui être apparentés.
Benucci
était l’oncle de Francesca Benucci (dite également Benuccini), soprano
active au Burgtheater en 1788/90 et qui chanta également à Moscou en 1790/1.
Cette parenté est attestée par un courrier de Joseph II (« […] Je suis faché que la nièce de Benucci
ait si mal réussi. [..] » (11 juin 1788) On la retrouve en Italie en
1795-1797. On ne connaît ni sa date de naissance ni celle de son décès. Elle
avait épousé un Monsieur La Motte.
Certains
contemporains ont attribué à Francesco Benucci une longue liaison avec Nancy
Storace, qui aurait eut lieu entre 1784 ( ?) et 1786.
Zizendorf
précise en février 1787que “la Storace est infidèle à Benucci et quitte
Vienne avec Lord Barnard. ”, ce qui peut résumer assez bien la situation.
Il est
cependant étrange que Francesco Benucci, cette vedette des scènes lyriques
européennes ait laissé si peu de traces intimes. Sans doute est-ce la preuve
d’un naturel discret et travailleur, de la part d’un homme qui vivait pour son
travail et qui ne souhaitait pas défrayer la chronique…
Il nous reste
pourtant, en filigrane des partitions composées à son intention, une idée de sa
voix et de ses capacités scéniques dans les airs taillés sur mesure par Mozart
et ses contemporains.
Détail du frontispice de la
partition imprimée de La Grotta di Trofonio
Benucci (Trofonio) avec A. S. Storace et
C. Coltellini (1786)
Sources
Pour une
analyse de sa vocalité, les travaux essentiels sont ceux de Dorothea
Link, Arias
for Francesco Benucci. Mozart’s first Figaro and Guglielmo, qui
présente une sélection de partitions écrites spécifiquement sur mesure
Voir également l’article de John Ruston, « Buffo Roles in Mozart's
Vienna: Tessitura and Tonality as Signs of Characterization. » dans Opera
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Da Ponte,
Lorenzo. Libretti Viennesi. A cura di Lorenzo della Chà. Parme : Fondazione Pietro Bembo,
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Deutsch, Otto Erich. Mozart. Princeton : Princeton University Press, 1999.
Hogan, Charles Beecher (éd.) The London Stage 1660-1800: A Calendar of
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Link, Dorothea. The National Court Theatre in Mozart's Vienna : Sources
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( Les extraits du journal du comte Zizendorf sont tirés de cet ouvrage, ainsi que de nombreuses indications des distributions du Burgtheater.)
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Michtner, Otto. Das alte Burgtheater als Opernbühne von der Einführung
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H. Böhlaus Nachf., 1970.
(Le
pamphlet anonyme sur L'Arbore di Diana est retranscrit en annexe.)
The New Grove Dictionary of Music and Musicians ed. S. Sadie and J. Tyrrell (London: Macmillan, 2001) et
version informatique.
The New Grove Dictionary of Opera ed. S. Sadie and J. Tyrrell (version
informatique.)
Payer von Thurn, Rudolf. Joseph II. als Theaterdirektor. Ungedruckte
Briefe und Aktenstücke aus den Kindertagen des Burgtheaters. Wien/Leipzig: Heidrich, 1920.
( Les
extraits de correspondance de Joseph II sont tirés de cet ouvrage)
Rice, John A. Antonio Salieri and Viennese Opera. Chicago :
University of Chicago Press, 1998.
RISM
(Répertoire international des sources musicales)
Sartori,
Claudio. I libretti italiani a stampa dalle origini al 1800 Cuneo :
Bertola & Locatelli, 1990-1994.
Gian Giacomo
Stiffoni, “La compagnia d'opera dei Reales Sitios e il teatro De Los Caños
del Peral di Madrid nella stagione 1776-77” dans Fonti Musicali Italiane
10 (2005)
Révision d'un dossier publié en 2002-2006
sur ODB-opéra.
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