‘The Cave of Trophonius’ de Stephen Storace, ou la grotte de l’oubli (1791)
« Interior of the Oracle of Trophonius in
Livadeia »
1816
Les compositeurs d’opéra anglais n’avaient aucune
hésitation à emprunter de la musique pour l’intégrer dans leurs œuvres, procédé
commun et tout à fait acceptable pour leurs compatriotes, même si cette
attitude pouvait être considérée comme du vol par leurs contemporains
continentaux. »
Le Révérend John
Trussler, oncle de Stephen et Nancy Storace, considérait que
« […] un auteur ne doit pas être plus censure pour avoir embelli son œuvre avec des textes intéressants qu’il a rencontré au cours de ses lectures, qu’un voyageur qui orne sa maison avec des tableaux qu’il a recueillis durant son Grand Tour. » (Memoirs, 1806)
Il est peu étonnant que le frère de Nancy, le
compositeur Stephen
Storace, mandaté par Gallini, le directeur du King’s Theatre et par Sheridan et
Linley pour le Drury Lane Theatre, pour rapporter des partitions et conclure
des engagements en leur noms lors de ses séjours viennois, ait inclus des
extraits des succès continentaux de sa soeur dans ses propres opéras.
Nancy Storace avait rejoint
la troupe de Drury Lane en novembre 1789, à la suite de l’incendie du King’s
Theatre. Elle y avait fait ses débuts dans The Haunted
Tower composé par son frère, ce qui ne l’empêcha pas de continuer à chanter des opere
buffe au théâtre du Haymarket où s’était transportée la troupe italienne
privée de théâtre.
La Grotta di Trofonio et The Siege of Belgrade
Le succès de The
Haunted Tower poussa Stephen Storace et son librettiste James Cobb à
rééditer l’expérience avec The Siege of Belgrade, créé le 1er janvier 1791.
Il s’agissait d’une adaptation de Una Cosa rara
de Vincente Martin y Soler, qu’avait créé Nancy en 1786. Sur les 29 numéros de
cette main piece (opéra ou
pièce de théâtre donné en première partie de soirée), Storace adapta
neuf morceaux de l’œuvre originelle, et y ajouta le rondo alla turca de la Sonate KV. 331 de Mozart, ainsi que le
menuet « Che filosofo buffon » de la Grotta
di Trofonio, qui devint « What can mean that thoughtful frown».
Outre un témoignage du succès que remporta ce morceau,
l’adaptation nous donne une précieuse indication sur un aspect de la mise en
scène viennoise.
Ce « Favourite Minuet, […] as danced by Sga Storace […] » ainsi que le
qualifie la réduction publiée à Londres en 1791, eut énormément de succès,
comme en témoigne une critique :
« Storace dansa son air favori avec beaucoup de grâce ‘ il fut bissé. » (The Gazetteer)
Adaptation du menuet pour
The Siege of Belgrade,
Londres, 1791.
Nancy Storace ayant probablement repris le même jeu de
scène que lors de la création (le livret anglais indique que « durant son air,
elle danse lentement entre Peter, Leopold et Ghita »), Ofelia devait
originellement danser autour de Trofonio, dans l’original de Salieri.
La Grotta di Trofonio et The Cave of Trophonius
L’opéra de Salieri connut une adaptation encore plus
radicale, un peu plus tard, sous le titre de The Cave of Trophonius. Il
est d’ailleurs surprenant que l’ouvrage ait été donné de manière si altérée
puisque seule la trame principale de l’histoire survécut, et qu’aucun morceau
originel ne fut inséré dans ce pasticcio, contrairement à ce qui est
parfois avancé.
La musique était de Stephen Storace, avec des
insertions composées par Paisiello, Thomas Attwood (l’ancien élève de Mozart),
et deux songs écrites respectivement par Nancy Storace et Richard Suett
(qui interprétait Dromo), vraisemblablement orchestrés par Stephen Storace.
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La trame du livret avait été drastiquement raccourcie
par Prince Hoare, ami et librettiste
habituel de Storace, puisqu’il s’agissait d’une afterpiece (pièce courte
constituant la seconde partie de la soirée), créée le 3 mai 1791 à Drury Lane pour la soirée à bénéfice de la
soprano Anna Crouch. En tant que « reine » de la soirée, elle
avait un rôle égal en importance de celui de Nancy Storace. Cette dernière
reprenait à cette occasion son rôle de soeur jumelle, sous le nom de Daphne.
La distribution de la création était la suivante :
Sedgwick (Aristo), Bannister Junior (Dorilas), Kelly (Amintas), Suett (Dromo), Dignum (Corin), Fox
(Trofonius), Sga Storace (Daphne), Mrs Crouch (Phaedra), Mrs Williames
(Dorcas), Mrs Bland (Alinet), Miss De Camp (Ist Spirit).
S’y ajoutent des chœurs de démons, de prêtres et
prêtresses etc…
Réception critique
Malgré la transposition dans un royaume féerique et
sans doute, des décors soignés, ce fut loin d’être un succès.
Après quelques modifications, elle fut reprise la
saison suivante, le 15 octobre 1791,
puis le 22 octobre, avant de chuter définitivement après une ultime
représentation, le 11 octobre 1792.
Ni le changement de théâtre et l’accueil sur une scène
plus vaste à la faveur du déménagement de la troupe de Drury Lane au King’s
Theatre reconstruit, ne purent empêcher la désaffection du public.
Le manager
du Théâtre, le tragédien John Philip
Kemble la qualifia de « Ennuyeux… Ennuyeux… » dans son
journal. Et le Times ironisa en
écrivant que « La Grotte de rophonius semble avoir été reléguée dans la Grotte
de l’Oubli ! »
John Adolphus, dans ses Memoirs of John Bannister, Comedian,
en 1839, rend compte de cet échec en ces mots :
« Une autre nouveauté, adaptée de la Grotta di Trifonio de l’Abbé Casti, par Prince Hoare, fut présentée élégamment de sa part à Mrs Crouch, pour son bénéfice du 3 mai. Les lecteurs qui ont pris connaissance des numéros 298 et 599 du Spectator se préparaient à voir une grotte, qui, par des moyens mystérieux, transformait la gaieté en pondération, et la sobriété en mélancolie ; mais entre les mains de Hoare, la caverne produisit des effets plus grands, changeant même l’humour en son contraire. L’idée fut vite épuisée, et Bannister en Dorilas rendit avec le meilleur effet l’intention de l’auteur. La musique de Salieri sélectionnée par Storace, et l’aide des chanteurs, hommes et femmes, procura à l’œuvre une existence temporaire, mais la pièce tomba assez vite et n’ayant jamais été imprimée, fut oubliée. »
Le ténor Michael
Kelly mentionne l’échec en précisant que l’opéra « ne rencontra pas
l’accueil qu’il pensait devoir lui être réservé. »
Cette relative indifférence se manifeste par l’absence
de publication du livret complet et de la musique.
Il n’en reste donc que la copie manuscrite du livret
envoyée à John Larpent, l’Examiner of Plays, au service de la censure dépendant
du Lord Chamberlain, ainsi que quelques passages du texte imprimés en 1791 à
Londres dans Songs, Duets, Trio, and Finales, in the Cave of Trophonius.
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