Théâtres en mouvement et reconstruction du Theatre Royal, Drury Lane (1791-1794)
Entre 1791 et 1794, la
cantatrice Nancy Storace et ses collègues du Theatre Royal, Drury Lane, déménagèrent sans cesse pour continuer
d’assurer les représentations d’une troupe sans théâtre. Ce sont ces
pérégrinations que nous allons retracer.
Entrefilet du Times, 1er mars 1791
sur le déménagement futur de Drury Lane.
(Source: Clips de Newspapers.com)
La fermeture de « Old Drury »
Lors de la dernière
représentation de la saison théâtrale de 1790-1791, le vieux théâtre de Drury
Lane ferma définitivement ses portes avec l’afterpiece
(pièce de la seconde partie de soirée) No
Song, No Supper de Stephen Storace. En ce 4 juin 1791, Nancy Storace
faisait partie de la distribution.
Inauguré le 26 mars
1674, le bâtiment attribué à l’architecte Sir Christopher Wren, bien que re-décoré
plusieurs fois, était devenu bien trop vétuste.
The
Universal Magazine
fit savoir que
Samedi soir, d’une vétusté progressive, et dans sa 117eme
année, est morte la vieille Madame Drury, qui a vécu à travers six règnes, et qui a vu de nombreuses générations
passer devant ses yeux. […] Elle a reçu environ 2000 personnes chez elle, la nuit même de son décès ; et la
vieille dame s’est trouvé être d’une telle bonne humeur qu’elle leur a dit
qu’elle ne leur donnerait ‘pas de Souper’ sans une ‘Chanson’, ce qui étant
fait, elle s’affaissa en arrière, et s’éteignit sans un gémissement. Le Dr Palmer [le comédien Robert Palmer], un
des médecins de la famille, assista ses derniers instants, et annonça sa dissolution à la compagnie. (Texte de
George Colman junior).
Le nouveau bâtiment
construit sur l’emplacement de l’ancien n’ouvrit pourtant qu’en avril 1794.
Outre les délais de démolition et de construction, la direction devait faire
face à un problème administratif : la patente (qui autorisait un théâtre
de langue anglaise à Londres) de Drury Lane ayant expiré, Richard Brinsley
Sheridan, le principal propriétaire du théâtre, dût acheter la patente « dormante »
qui appartenait à Thomas Harris, le propriétaire du théâtre concurrent, Covent
Garden.
Saison 1791-1792 : Délocalisation au King’s Theatre in the Haymarket
Sans toit, la troupe de
Drury Lane se délocalisa au King’s Theatre au Haymarket, en profitant de la
situation administrative compliquée dans laquelle se trouvait ce théâtre.
Jusqu’à son incendie en
1789, le King’s Theatre in the Haymarket était l’Opéra italien de Londres. A sa
destruction, se posait la question du devenir de son autorisation
administrative de représenter le répertoire italien, permis uniquement pour une
salle.
Deux projets
concurrents se menèrent une guerre sans merci : la reconstruction du
théâtre sur le site de l’Opéra sinistré, et la conversion de la salle de
concert du Panthéon en salle d’opéra. Ce second projet obtint l’autorisation
tant désirée, car l’un des commanditaires secrets n’était autre que le Lord
Chambellan qui octroyait les autorisations…. Le manager du King’s Theatre se retrouva donc avec un bâtiment dans
lequel il ne pouvait pas faire représenter d’opéras…. ce qui explique pourquoi L’anima del filosofo, opéra commandé à
Haydn ne fut jamais représenté.
Le King’s Theatre,
inoccupé et au cœur d’un imbroglio juridique quasi inextricable (entre les
créditeurs et débiteurs divers, les locataires du terrain et les ayant-droits
de l’architecte), était donc idéal pour que la troupe de Drury Lane puisse
poursuivre ses saisons en attendant son théâtre flambant neuf.
Le King’s Theatre, lui
aussi, était tout neuf, mais il fallut néanmoins mettre un faux cadre de scène
pour que les décors de Drury Lane puissent s’y adapter. Il n’y avait pas non
plus de loges pour les acteurs, puisque les chanteurs de la troupe italienne se
changeaient chez eux avant de se rendre à l’Opéra… Heureusement, le bâtiment
offrant beaucoup d’espace vide, on construisit des loges additionnelles !
Conçue pour l’opéra, l’acoustique n’était pas forcément idéale pour le
théâtre : c’est ce dont se plaignirent les contemporains, qui estimèrent
que les acteurs devaient forcer la voix pour se faire entendre ; ils
auraient également été engloutis par la dimension du plateau… On peut
légitimement se demander comment les chanteurs et acteurs des ballad operas parvinrent à équilibrer
des représentations qui faisaient alterner dialogues parlés et numéros chantés…
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La nouvelle saison
délocalisée commença le 22 septembre
1791, avec un intermède (avec une musique de Stephen Storace), Poor
Old Drury!!!, qui raconte de manière comique les vicissitudes du
déménagement.
Annonce de presse d’octobre
1791,
Annonçant le prologue Poor
Old Drury !!
L’afterpiece est No Song, No Supper,
avec Nancy Storace.
(Détail d’un recueil factice
d’articles divers.
Saison 1793-1794 : Déménagements divers au Haymarket
La troupe reprit
possession du King’s Theatre pour la saison 1792-1793, mais s’en trouva délogée
partiellement au début de l’année 1793, par le retour de l’opéra italien dans ses murs d’origine. En effet,
dans l’intervalle, le nouvel Opéra Italien, le Pantheon, avait brûlé à son
tour, le 14 janvier 1792, et le répertoire opératique italien fut de nouveau
autorisé au King’s Theatre, à partir du 26 janvier 1793…
Nancy Storace, engagée
à la fois à Drury Lane et dans la troupe italienne, participa d’ailleurs au
grand retour des Italiens dans cette salle : elle chantait Rosina dans Il
Barbiere di Siviglia de Paisiello, ce soir-là. Michael Kelly, lui aussi
un chanteur créateur de Mozart, lui donnait la réplique, en Conte Almaviva. The Times constata que
La musique de Paiseillo, avec de tels interprètes, et un
tel orchestre, ne pouvait pas manquer « de tremper l’esprit de
délice ». Le duo de Storace et Kelly, était une idée quelque peu nouvelle,
et eut un effet charmant – autant l’œil que l’oreille furent complètement
comblés.
Les mardi et samedi,
soirées durant lesquelles on donnait traditionnellement l’opéra italien, la troupe de Drury Lane fut donc obligée de
se délocaliser au Little Theatre in the Haymarket, salle habituellement
ouverte l’été quand les trois théâtres dit « d’hiver » avaient fermés
leurs portes.
Le transport des
éléments de décors, costumes, etc… d’un bâtiment à l’autre, et leur adaptation
à deux scènes si différentes (l’une, l’un des plus grands théâtres de Londres,
l’autre, le plus petit !) n’alla sans doute pas sans peine…
Annonce de presse de février
1793,
expliquant aux abonnés
qu’ils ne perdront pas
leurs avantages malgré le
changement de théâtre.
(Détail d’un recueil factice
d’articles divers.
Saison 1793-1794 : Délais et renaissance de Drury Lane
La reconstruction de
Drury Lane progressait lentement, dû aux problèmes divers rencontrés par
Sheridan. On fêta néanmoins la pose du toit du bâtiment, le 30 octobre 1793.
En attendant la
réouverture du théâtre, la troupe de Drury Lane fut temporairement dissoute.
Les chanteurs et acteurs trouvent d’autres engagements ou se retrouvent au
chômage plus ou moins volontaire, comme la grande comédienne Mrs Jordan ou la
grande tragédienne Mrs Siddons.
D’autres, parmi
lesquels Nancy Storace, trouvèrent un engagement au Little Theatre in the
Haymarket. En effet, George Colman, le manager
de ce théâtre, loua la patente de Sheridan, de manière à pouvoir ouvrir un
théâtre qui ne peut l’être qu’entre le 15 mai et le 15 septembre, quand Drury
Lane et Covent Garden sont fermés…
Sa saison d’hiver aura
donc lieu entre le 19 septembre 1793 et le 8 avril 1794. On y entendra de très
nombreux succès de la troupe de Sheridan, et quelques créations comme l’afterpiece My Grandmother de Stephen
Storace, le 16 décembre 1793 ; sa sœur Nancy y tient évidemment le rôle
principal.
Le nouveau Théâtre royal de Drury Lane
Intérieur du Théâtre de
Drury Lane (vers 1808)
d’après Thomas Rowlandson
(1756–1827) et Augustus Charles Pugin (1762–1832)
(source : Wikipedia)
Le nouveau théâtre est
inauguré le 12 mars 1794, avec une sélection haendélienne. On y entendra des
extraits du Coronation Anthem, de Samson, du Messiah, d’Israel in Egypt,
de Jephta, de Solomon, de Saul, etc…
Nancy Storace fait partie des solistes.
Le 21 avril 1794, c’est
la première représentation proprement dite, avec un Macbeth de Shakespeare.
L’architecte du nouveau
bâtiment était Henry Holland. Le
bâtiment étant exceptionnellement vaste, les frais de la construction furent
tels que l’extérieur du théâtre ne fut jamais terminé ! Il ressemblait à
l’opéra de Bordeaux sur lequel il prit quelque peu modèle.
Le nouveau théâtre
pouvait contenir 3 611 personnes. Ce sera le plus grand théâtre de Londres
jusqu’au XXème siècle (mais non la plus grande maison d’opéra). Si les espaces
publics sont luxueux, dans leur dominante bleu et rouge, les coulisses n’auraient
pas été aussi confortables que les anciennes. Certains se plaindront du manque
de confort des loges et du foyer des artistes, mais on déplorera davantage sa
vastitude, et le manque de proximité avec les acteurs : en effet la scène
mesurait 25 mètres de largeur sur 28 de profondeur !
Ces dimensions auront
un impact sur les productions montées à Drury Lane: elles seront de plus en
plus spectaculaires, au détriment de la subtilité du jeu des acteurs.
C’est
dans cette salle que Nancy Storace prendra sa retraite, le 30 mai 1808.
Le 24 février 1809, le
bâtiment sera détruit par un incendie. Il ne sera pas reconstruit avant
1812 ; c’est le bâtiment actuel.
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