1793 : ‘Captivity’, Nancy Storace et la reine Marie-Antoinette



En février et mars 1793, la vogue d’un air composé par Stephen Storace, Captivity, a Ballad supposed to be Sung by the Unfortunate Marie Antoinette During her Imprisonment (Captivité, une Ballade supposée être chantée par l’infortunée Marie Antoinette durant son emprisonnement), reflète l’émotion ressentie par l’opinion publique devant la tournure de la Révolution française et le tyrannicide prôné par le nouveau pouvoir politique français.


Captivity, a Ballad de Stephen Storace


Un contemporain se souvient de l’auteur et de la popularité de son poème :

« […] parmi différentes effusions [poétiques] de la muse [du Révérend] Mr. Jeans [de Dibden (Hampshire)], je sélectionne deux […] compositions. […] Les autres stances furent suggérées par les persécutions et les atrocités infligées à la belle, mais infortunée Reine de France, par les chiens de la Révolution française. Ce dernier poème, par un biais inconnu, circula largement ; et ajouta considérablement au sentiment populaire qui avait été excité en faveur de la malheureuse victime. Il fut mis en musique par Storace et plusieurs autres maîtres ; chanté par la Signora Storace et Mrs Crouch, dans les théâtres ; et trouva sa place dans les foyers privés où l’harmonie vocale était cultivée de quelque manière que ce soit. […] »
(Révérend Richard Warner, Literary Recollections… Londres, 1830. (Vol. I))

On s’émerveille aussi que

[Stephen] Storace vendit l’air intitulé Captivity à Dall, l’éditeur de musique, au coin de Holles-street et de Cavendish-square, pour £ 50, et en six semaines Dall (sic) en vendit 2 600 exemplaires pour 1 shilling chacun.

C’est dire l’émotion qu’avait suscité dans l’opinion publique l’emprisonnement, puis la mort en octobre 1793 de Marie-Antoinette. Cet air composé par Stephen Storace avait été déposé le 19 février 1793. Il comporte même une note historique précisant que les cheveux de la reine avaient blanchi sous l’effet de ses souffrances.

Si les ballades et poèmes célébrant la « reine martyre » sont courants chez les royalistes, ce texte anglais figure en bonne place dans le florilège des textes déplorant son sort, compilé par J. Peltier, à la fin de son Dernier Tableau De Paris Ou Récit Historique De La Révolution du 10 août 1792… publié à Londres en septembre 1793.

Le destin du couple royal français avait bouleversé l’opinion publique britannique et de nombreuses contributions illustrèrent le sort de la « reine martyre », affirmant par la même occasion leur soutien à leur monarchie. Bien qu’on trouve quelques airs et poèmes consacrés à Louis XVI, c’est principalement la reine Marie-Antoinette qui est l’héroïne de ces déplorations.


Captivity au concert


Les incarnations vocales de Marie-Antoinette les plus marquantes furent celles de Mrs Crouch, de la Signora Storace… et du ténor Incledon !

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The Gentleman's Magazine, March 1793
Début du texte de Captivity,
publié dans The Gentleman’s Magazine (Mars 1793).


Le 20 février 1793, Captivity, interprété par la soprano Mrs [Anna Maria] Crouch émeut profondément l’assistance d’une soirée d’oratorio donnée à Covent Garden. Après Alexander’s Feast de Haendel, cette ballade est précédée de l’ouverture de son Arianna, puis suivie d’extraits d’Esther, de Judas Maccabaeus, Ezio

Un compte rendu de la soirée précise que :

« Le Nouvel Air suivant fut la Nuit dernière introduit dans l’Oratorio au Théâtre de Covent Garden ; et tel fut son effet qu’il plongea l’assistance dans un étant de détresse exquise – on avait du mal à trouver un œil sec dans tout le théâtre. Nous soulignons ceci pour rendre hommage au sentiment et à la délicatesse de la Nation Britannique. [Suit le texte de l’air.] »

Le même soir, il est possible que le théâtre concurrent, le King’s Theatre, ait introduit ce même air (à moins qu’il s’agisse de The Captive de J. Percy), en fin de première partie du Messiah de Haendel ; cette fois-ci, la déploration était chantée par un soprano garçon, Master Welsh.


The Gentleman's Magazine, March 93
Début du texte de The Captive,
publié dans The Gentleman’s Magazine (Mars 1793)


La vogue de Captivity ne se dément pas : le 27, Covent Garden redonne la même sélection d’airs et pièces de Haendel.

Le 1er mars, en raison d’une indisposition de Mrs Crouch, Miss Dall la remplace pour son programme, mais c’est le ténor Charles Benjamin Incledon qui la remplace dans cette scène, « faisant sa première apparition dans le rôle de Marie-Antoinette », comme s’en amuse un périodique :

« L’air de “Captivity”, dans lequel Mrs. Crouch a prêté à leur absurdité le charme le plus exquis, fut chanté par Mr. Incledon, ceci étant sa première apparition dans le rôle d’Antoinette. L’introduction d’un tel air au sein d’un oratorio sacré était une telle absurdité, que si toute autre raison que la maladie en avait été la cause, nous nous réjouirions que Mrs. Crouch n’ait pas été l’instrument d’une profanation si répréhensible. »

L’air est également rechanté par Mrs Crouch le 6 mars, accompagné d’un autre consacré au sort de Louis XVI, The Captive King, interprété par Incledon. Ils répètent également ces deux airs, chantés successivement, les 8, 13 et 20 mars, lors de soirées d’oratorio.


The Universal Magazine, March 93
Début du texte de The Captive King,
publié dans The Universal Magazine (Mars 1793)

Captivity. est si populaire qu’il sera également chanté entre la main piece (pièce de première partie de soirée) et l’afterpiece (pièce de seconde partie de soirée) par Incledon, pour la soirée à bénéfice de Wild à Covent Garden.

Ce même mois, c’est la sœur du compositeur, Nancy Storace, qui exécute l’air lors d’un concert en province. Elle avait également interprété cet air à Londres, peu avant Mrs Crouch, lors d’une soirée donnée par une société de concerts, mais l’air ne fut pas très bien reçu…

En 1787, la cantatrice aurait dû être reçue par Marie-Antoinette à Versailles… Pensa-t-elle à ce rendez-vous manqué quand elle interpréta Captivity ? On ne le saura sans doute jamais…

Il existe plusieurs enregistrements de cet air, dont celui de Jane Austen's Songbook (CD Albany, 2006)

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