'Lo Sposo deluso' de Mozart (1784 ?), fragments pour Nancy Storace
Lo
sposo deluso, ossia La rivalità di tre donne per un solo amante (KV 430/424a) (Le Mari déçu ou la Rivalité de
trois femmes pour un seul amant) est un opera
buffa inachevé en deux actes, composé par Mozart vers 1783 et 1784. Outre
un livret incomplet, il n’en demeure que l’autographe mozartien des fragments
du premier acte mis en musique par Mozart.
Détail de la liste des Attori,
avec annotation de Mozart mentionnant Nancy Storace
Livret manuscrit, conservé à Berlin.
Source : NMA
Genèse de l’œuvre
Entre Die Entführung aus dem Serail et Le Nozze di Figaro, Mozart commença à
composer deux opéras, qui restèrent inachevés. Grâce à la correspondance des
Mozart, on peut dater L'oca del Cairo
KV. 42 : fondée sur un livret du poète salzbourgeois Gianbattista Varesco,
librettiste d’Idomeneo, la gestation
de cette esquisse est datable entre août 1783 et début 1784. Toutefois, on en sait
fort peu sur Lo Sposo deluso, auquel
Mozart ne fait pas allusion dans la correspondance qui nous est parvenue,
puisqu’il n’en reste plus que des épaves pour 1784 et 1785.
Le nom des chanteurs portés sur le
livret par Mozart nous indique qu’il n’a pu les noter avant fin mars-début
avril 1784 : l’appellation « sig:
ra fischer » pour Nancy Storace, a forcément été inscrite après le
mariage de la prima buffa avec le
violoniste virtuose britannique John Abraham Fisher : il eut lieu le 29
mars 1784.
Bien qu’on ne puisse écarter la
possibilité que cette annotation ait été faite tardivement dans l’élaboration
de la partition, elle nous donne des éléments chronologiques.
La tradition attribue une fourchette
de 1783-1784 pour la composition de Lo
Sposo deluso, ce qui est corroboré en partie par l’analyse du papier
utilisé et des filigranes :
Une partie du papier utilisé l’a
également été pour les KV 522, les Menuets KV. 448a (1784) et le lied « Das Veilchen », KV. 476 (8 juin 1785), les premiers duos des Nozze di Figaro. Selon Alan Tyson, un
autre type de papier utilisé aurait pu être acheté en 1783 durant le voyage
aller de Vienne à Salzbourg, ou le voyage retour, vers octobre ou début
novembre 1783.
Mozart aurait donc pu commencer à
écrire cet opéra fin 1783, et continuer au moins jusqu’en avril 1784.
Détail de la liste des Attori,
avec annotations de Mozart
Livret manuscrit, conservé à Berlin.
Source : NMA
Le livret
Il s’agit d’une adaptation d’un livret écrit pour Le
donne rivali de Cimarosa, intermezzo
composé pour Rome, pour le Carnaval 1780 pour cinq chanteurs, ainsi que cela a
été prouvé par Alessandra Campana et Pier Luigi Petrobelli. L’opéra fut repris
à Venise à l’automne 1780, puis à Florence la même saison ; au Carnaval
1782 à Sienne, en tant que drama per
musica, et en 1783 à Montecchio.
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Le poète originel est anonyme, mais
Neal Zaslaw a suggéré qu’il pourrait s’agir de Giuseppe Petrosellini, le librettiste alors attaché au Teatro Valle
où eut lieu la première.
On ne connaît pas le nom du
librettiste viennois qui réalisa cette adaptation pour sept personnages, bien
que le nom de Lorenzo Da Ponte ait souvent été avancé. (Georges de Saint-Foix
et Einstein en sont certains, tandis que Anna Amalie Abert et Rudolph
Angermüller en doutent. John A. Rice avance, lui aussi, le nom de Da Ponte.)
Dans une lettre du 5 juillet 1783,
Mozart mentionnait bien qu’ « un poète italien lui avait apporté un
livret, qu’il pourrait utiliser, s’il acceptait de le lui raccourcir selon ses
désidératas », mais le livret des Donne
rivali fut étoffé, et non réduit…
La mise au propre du livret utilisé
par Mozart, œuvre d’un copiste probablement viennois (il a été identifié par
Wolfgang Plath comme étant le même copiste de l’arrangement du Messie de Haendel par Mozart, KV 572),
montre que son auteur n’était pas forcément très familier de la langue italienne.
Des erreurs et corrections ultérieures montrent qu’il n’est probablement pas
arrivé à déchiffrer le manuscrit sur lequel il se fondait : il devait donc
recopier un manuscrit, et non une version imprimée du livret précédent.
Une autre explication, avancée par Andrew
Dell'Antonio, serait que le poète inconnu qui arrangea le texte selon les
désidératas de Mozart était allemand, peu à l’aise avec l’italien, et aurait
travaillé en hâte, comme le montre les incohérences du manuscrit pour les noms
des personnages.
En effet, si la liste des « Attori » liste « Bocconio »,
« Eugenia », « Don Asdrubale », « Bettina », « Pulcherio »,
« Gervasio » et « Metilde », ils deviennent par la suite
dans le texte « Sempronio », « Emilia », « Don
Annibale », « Laurina », « Fernando » et
« Geronzio » ! Le copiste ou le librettiste lui-même avait donc
changé le nom des personnages, changement ignoré par Mozart qui s’en tint aux
appellations d’origine lorsqu’il commença à composer sa partition.
Par rapport à l’original romain, on a introduit
le personnage de Metilde et le tuteur, rôle autrefois muet, se met également à
chanter. Ces additions, ainsi que l’étirement des péripéties transforment un
texte aux coups de théâtres rapides et peu sentimentaux, en un texte plus
conventionnel et souvent ennuyeux.
En regard de la liste des rôles et de
leur typologie, Mozart a noté les chanteurs faisant partie de la troupe du Burgtheater,
susceptibles d’incarner ces personnages.
Bocconio Papparelli, homme riche mais stupide, fiancé à Eugenia (Primo buffo caricato) : Francesco BenucciEugenia, une jeune aristocrate romaine, fiancée à Papparelli, mais éprise de Don Asdrubale (Prima buffa) : Nancy StoraceDon Asdrubale, un officier toscan (Primo mezzo carattere) : Stefano MandiniBettina, nièce frivole de Papparelli, également éprise de Don Asdrubale (Seconda buffa) : Catherina CavalieriPulcherio, ami misogyne de Papparelli (Secondo buffo caricato) : Francesco BussaniGervasio, tuteur d’Eugenia, épris de Metilde (Secondo buffo mezzo carattere) : Signore Pugnetti (ou Bugnetti)Metilde, cantatrice et danseuse, amie de Bettina, également éprise de Don Asdrubale (Terza buffa) : Theresia Teyber ou Teuber
Il est intéressant de noter que
Stefano Mandini, qui aurait dû chanter Annibale dans Lo sposo deluso, avait chanté ce même rôle à Florence en
1780, dans la version mise en musique par Cimarosa. Serait-ce lui qui avait
communiqué le livret d’origine à Mozart, comme cela a été suggéré par Alessandra
Campana ?
Ce livret, tel qu’il nous est parvenu,
est incomplet. Il manque une partie de la scène 10 du premier acte jusqu’à la
« scena ultima » de ce même
acte.
Pour Dell’Antonio, il est très
vraisemblable que les changements entre les deux versions du livret ont été
demandés par Mozart : n’indiquait-il pas à son père quels étaient les
caractéristiques des personnages qu’il souhaitait trouver, en relatant sa
recherche d’un bon livret italien ? (Sept personnages, texte drôle,
typologie précise des chanteurs…)
La partition
Mozart
n’avait commencé à composer que les numéros suivants, avant d’abandonner
(temporairement ?) cet opéra :
Ouverture (Allegro, Andante)
Esquisse du quartetto « Ah, ah che
ridere » (Pulcherio, Bocconio, Bettina, Asdrubale)
Pulcherio (ténor ou baryton aigu) se moque de Bocconio (basse) qui souhaite épouser une jeunette, Eugenia. Bettina (soprano), sa nièce et Don Asdrubale (ténor) sont du même avis.
Esquisse de l’aria « Nacqui all'aria trionfale » (Eugenia)
Entrée d’Eugenia (soprano) qui ne s’en laisse pas conter.
Marisa Martins, mezzosoprano
Foyer del Gran Teatre del Liceu
October 2006
Esquisse de l’aria « Dove mai trovar quel ciglio ? »
(Pulcherio)
Adressée au couple Eugenia – Bocconio.
Terzetto « Che accidenti » (Bocconio,
Asdrubale, Eugenia)
Eugenia et Asdrubale, amants autrefois séparés, s’opposent à l’étonnement de Bocconio.
Mis
à part le premier trio, la partition est assez conventionnelle, et ne témoigne
pas de l’inventivité stylistique des Nozze
di Figaro.
Pourquoi l’œuvre resta-t-elle inachevée ?
Commentant l’existence de nombreux
fragments d’opéras de la période (Del
gran regno delle amazzoni KV 434 (424 b / KV 6 : 480 b) pour l’opéra Il Regno delle Amazzoni d’Agostino
Accorimboni, L'oca del Cairo KV. 422
and Lo sposo deluso), Otto Jahn estimait que ce n’est pas
forcément la qualité des livrets qui était en cause, mais plutôt le peu de
chances de faire représenter les œuvres qui a causé l’arrêt de la composition. Il
ne faut pas oublier que Mozart travaillait en indépendant, et qu’il devait voir
aboutir ses projets pour être payé…
Pour John A. Rice, plus que les circonstances extérieures, ce serait
plutôt l’évolution théâtrale de Mozart lui-même, qui abandonne une structure
d’opéra fidèle aux principes de Goldoni pour se rapprocher d’une avant-garde à
la structure plus souple, qui expliquerait de cet abandon. En effet, la
stipulation de Mozart, qui souhaitait sept personnages aux caractéristiques
énoncées de manière assez rigide, prend modèle sur les livrets de Goldoni, comme
L’Arcadia in Brenta ou Il mondo della luna, à la structure en
vogue quelques vingt ans plus tôt.
Les œuvres données au Burgtheater
avaient exposé Mozart à un style d’opéra, l’opera
buffa, auquel il ne s’était pas frotté depuis son adolescence. Depuis, le
modèle avait bien changé.
Ce sont sans doute les chanteurs de la
troupe italienne et les ouvrages qu’ils servaient, qui contribuèrent à modifier
ce que Mozart souhaitait (et ce que ses librettistes d’alors avait scrupuleusement
observé) : le compositeur abandonna alors son ancienne conception d’un
ouvrage entièrement comique, pour adopter un canevas plus ambigu, plus mélangé
et qui le mènera vers les chefs d’œuvres de sa maturité et en premier, Le Nozze di Figaro, pour une distribution
très semblable à celle dont il avait rêvé…
Bocconio - Clifford Grant
Eugenia - Felicity Palmer
Asdrubale - Anthony Rolfe Johnson
Pulcherio - Robert Tear
Bettina - Ileana
Cotrubas
London Symphony Orchestra
Colin Davies
Bibliographie
Allroggen,
Gerhard, « Foreword », dans
Neue Mozart-Ausgabe (New Mozart Edition),
II/5/14, Lo sposo deluso, International Mozart Foundation, Online Publications,
p. I-XXV.
Dell'Antonio,
Andrew, « 'Il compositore deluso':
The Fragments of 'Lo sposo deluso' » dans Wolfgang Amadè Mozart. Essays on his Life and his Music. (Stanley
Sadie, éd.). Oxford, Clarendon Press, 1996, p. 403-412.
Rice, John A.,
« Mozart’s Development as Composer
of Opera Buffa, 1783-86 », dans Antonio
Salieri and Viennese Opera, Chicago, The University of Chicago Press, 1998,
p. 465-468.
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