2017 - Eve Ruggieri ou, De la perpétuation des idées (mozartiennes) reçues…
Eve Ruggieri, qui fit tant pour
populariser l’opéra avec son émission Musiques au cœur diffusée entre 1982 et
2009, vient de publier un Dictionnaire
amoureux de Mozart chez Plon (octobre 2017). [Quelques pages en
sont lisibles sur Google
Livres]
Hélas,
sa notice sur Nancy Storace
(dont l’entrée se trouve étrangement à « N » et non à « S » !)
est entachée d’erreurs multiples, lesquelles vont perpétuer les idées reçues, fantasmes
divers et approximations qui font florès sur la cantatrice, sa vie et ses
relations avec le compositeur…
Tâchons
d’en corriger certaines.
Journal
de Karl von Zinzenforf und Pottendorf (1739-1813) :
Les appréciations du comte de
Zizendorf sur Storace, citées par E. Ruggieri sont un compressé de plusieurs
entrées de son journal : 22 avril, 9 mai 1783, 1er juillet 1783.
(Voir les pages 69 et 70 de Nancy
Storace, Muse de Mozart et de Haydn.)
Profitons-en
pour rappeler que la musicologue Dorothea
Link a réalisé une très précieuse transcription de ce journal écrit en
français, pour les entrées relatives à la vie musicale et théâtrale viennoise
entre 1783 et 1792 : ce document absolument passionnant, copieusement
annoté, est accompagné du calendrier des représentations des théâtres et de la
transcription des livres de comptes des théâtres impériaux, et d'une présentation très éclairante. Il est proprement ahurissant
qu’aucune maison d’édition française n’ait publié une traduction de cet ouvrage
fondamental, The National court Theatre in Mozart’s Vienna : Sources and
Documents 1783-1792 (Clarendon Press, 1998). Il présente des sources
essentielles à la compréhension de la vie lyrique et théâtrale viennoise durant
cette période.
Leçons de Nancy Storace avec Rauzzini :
« On
peut toujours imaginer poétiquement leur rencontre [en Italie] lorsque Nancy
prenait des leçons avec Venanzio Rauzzini […] »
Ces
leçons furent données en Angleterre, Rauzzini y demeurant depuis 1774 !
Les amours de Nancy Storace… et Mozart (évidemment !) :
« Ce qui est sûr, c’est qu’elle l’était [amoureuse] de lui et lui d’elle
lorsqu’elle créa le 1er mai 1786 [….] Suzanne dans Les Noces de
Figaro. »
Cette
phrase a tout d’un héritage du musicologue Alfred
Einstein, qui lui non plus, ne donne aucune source à ce qu’il
avance.
A
ce sujet, l’aimable lecteur lira avec intérêt – du moins, l’auteure l’espère !
– les pages 132-135 de la biographie
ci-dessus mentionnée.
« Que s’était-il passé qui justifierait le départ précipité de Nancy
alors en plein succès [...] ? Fut-il dû à sa liaison avec le duc de
Cleveland ? A ce sujet, nous ne savons rien. »
Pour lire la suite, cliquer en dessous
Le
« départ précipité »
supposé n’est qu’une fin de contrat non renouvelé pour la saison suivante, par
la volonté de la cantatrice. Il n’avait donc rien de précipité et la rumeur en
faisait état des mois auparavant comme le prouvent les écrits des
contemporains.
La
liaison de Storace avec « Harry » Vane n’était pas si
scandaleuse. Tout le monde connaissait sa situation privée : elle était
alors séparée de son mari, très violent, qui avait été « banni » sur
ordre impérial, et les contemporains ne s’attendaient pas à voir une actrice
aussi jeune rester chaste !
Notons
par ailleurs que William Harry Vane, (1766-1842), alors vicomte Barnard, fut
comte de Darlington en 1792, marquis (1827) puis premier duc de Cleveland en…
1833 !
« Nancy ne reverra jamais Mozart qui continuera de lui écrire. Des
lettres qu’elle détruira… »
Il
ne pouvait y avoir une notice sur Nancy Storace sans une mention des fameuses
lettres… Mais ont-elles vraiment existé, en dépit de toutes ces mentions
publiées depuis les années 50 ?
Pour
une analyse de cette assertion, je renvoie l’aimable lecteur aux pages 9-10 et 134-135
de la biographie
susmentionnée.
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