Le coin du paparazzi : Nancy Storace observée par « Magnus Apollo » (1795)
Extrait d’un article du 3 novembre 1795
Comme tous ses
collègues les plus éminents, acteurs et chanteurs adulés du public, Nancy Storace
a suscité nombres de portraits publiés de son vivant dans la presse
britannique. Quel que soit le contenu de ces articles, ils alimentent sa
notoriété, et nous renseignent sur certains des commérages charriés sur cette
cantatrice qui a si souvent défrayé la chronique.
Célébrité, actrice (au
sens large du terme), chanteuse revendiquant une italianité qui fait l’objet
d’une certaine xénophobie mêlée de fascination, la Signora Storace (comme elle
est connue professionnellement) est régulièrement prise à partie dans ces
portraits diffusés dans la presse généraliste et spécialisée. Bien que
critique, ce texte tiré du The Tomahawk!
or, Censor general est loin d’être le plus acerbe à son encontre.
Lors de sa parution, en
1795, Nancy Storace est l’une des stars du chant anglais. Auréolée de sa gloire
continentale, elle s’est produite dès 1787 avec un grand succès au King’s
Theatre, l’Opéra italien. Après l’incendie du bâtiment, elle est devenue l’une
des valeurs sûres du théâtre londonien de Drury Lane : depuis 1789, elle y
chante dans des ballads operas en
anglais, composés par son frère Stephen
Storace. Elle est également très active dans de prestigieuses sociétés de
concert, dans les festivals provinciaux et dans les concerts d’oratorios. Cette
carrière protéiforme l’a évidemment enrichie et la polyvalence de cette
réussite ne fait pas que des heureux… (Notons que le salaire de £ 10 par
soir qu’on lui reproche ici est loin d’être le plus important de la troupe…)
The Tomahawk! or, Censor general
Le portrait publié dans
The Tomahawk! or, Censor general témoigne
de l’ambiguïté de son statut de femme « publique » offerte aux
regards sur une scène. (La retenue et la discrétion sont toujours des idéaux
féminins.) Louanges et attaques sont donc à parts égales dans cette chronique qui
brocarde autant la vie privée que professionnelle de la cantatrice.
Cet article, signé
« Magnus Apollo » est caractéristique de ceux publiés par la presse
anglaise sur Nancy Storace, et on y trouve les reproches qui lui sont le plus
couramment adressés : séparation scandaleuse avec son mari John Abraham
Fisher, liaisons diverses, salaire jugé exorbitant, avarice, vulgarité dans son
jeu scénique (sans doute un jeu appuyé trop italianisant pour certains
critiques anglais), etc…
La xénophobie envers
les musiciens italiens y est à peine dissimulée. L’auteur met d’ailleurs en
regard l’attitude des Italiens (origine à laquelle souhaite se rattacher
professionnellement Nancy Storace) aux Anglais, présentés ici comme généreux et
magnanimes ! Ce préjugé (renforcé par la rude concurrence que faisait
peser l’afflux des musiciens étrangers sur les Britanniques) est
particulièrement évident dans le bref rappel que fait l’auteur des origines
familiales de la cantatrice. (Non sans quelques erreurs…)
« Magnus
Apollo » ne peut pourtant s’empêcher de conclure par l’affirmation du
talent et de la célébrité de la jeune femme… Notons, que, loin de prendre sa
retraite à la fin de la saison, durant l’été 1796, Nancy Storace poursuivit sa
carrière jusqu’en 1808 !!!
[No. I.]
LE
MONDE MUSICAL
SIGNORA STORACE.
Ann
Storace est la fille de
feu Stephen Storace, italien de
naissance, qui avait épousé la fille de Mr.
Trusler, bien connu du public il y a de nombreuses années, comme propriétaire
des jardins de Marybone.
La propension précoce à
la musique de notre héroïne fut raidement découverte par son père. Il était un
contrebassiste célèbre, et possédait plus de connaissances musicales que la plupart
des professeurs de cet instrument malcommode. On peut aisément imaginer qu'il
s'appliqua avec des soins particuliers à cultiver l'éveil quotidien de son
génie naissant. Et si nos souvenirs ne nous font pas défaut, à l'âge de treize
ou quatorze ans, sa première apparition publique fut lors des Oratorios, durant
la Carême, où elle déploya le gage de ses futures capacités, et reçut les
encouragements que le public anglais ne manque jamais de décerner au jeune
interprète au mérite naissant.
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Peu d'années passèrent,
avant que Mr. Storace, ayant réglé ses affaires en Angleterre, emmena toute sa
famille en Italie, dans le seul but de cultiver les talents musicaux de sa
fille, dont il prévoyait qu'ils tourneraient à son avantage. Et, l'ayant placée
sous l'autorité d'un maître éminent, il acheva sa carrière terrestre, la
laissant sous la protection de sa meilleure et plus sincère amie, sa mère.
Les progrès de Miss Storace allèrent au même pas que son
génie ; car elle fut rapidement engagée à l'Opéra. Et bien que les Italiens aient
le plus souverain mépris pour le goût musical anglais, pourtant, la force du
génie est telle, qu'en dépit de leur préjugé, il se fraie un chemin comme un
torrent laminant tout devant lui, et elle devint immédiatement une favorite [du
public].
La célébrité de notre
jeune Anglaise fit rapidement une telle conflagration sur le continent qu'on
lui offrit un engagement à Vienne, où nous la trouvons, apparaissant à la tête
de sa profession en tant que Prima Dona [sic], ou première chanteuse comique à la
Cour impériale. C'est là qu'elle rencontra le Dr. Fisher, lequel avait quitté
Londres quelques années avant elle, pour chercher fortune et tenter de voir où
il pouvait le mieux jouer du violon [pour quelque argent].
Que ce soit affection
ou sympathie, nous ne nous hasarderons pas à le déterminer ; mais c'est là
que leur union se tint, et Miss Storace
devint Mrs. Fisher.
La lune de miel ne fut
pas longue. Nous n’affirmerons pas que le Docteur faisait des fausses notes ou
que Madame aille dans le dièse ou mette des bémols. Mais il est certain qu’une
séparation eut lieu par consentement mutuel, et que l’accord stipulait
certaines clauses comme quoi jamais le mari et la femme ne devaient se trouver
ensemble dans le même royaume, aussi longtemps que Mrs. Fisher continuait de
payer un traitement annuel à son mari !
Ici, nous survolerons
certaines anecdotes que la partie
médisante du monde qualifierait de scandale et observerons seulement que,
de même qu’elle choisit d’abandonner son mari,
de même elle abandonna le nom de Fisher et reprit son nom de jeune fille,
auquel elle annexa celui de Signora,
un épithète auquel elle n’avait droit d’aucune façon, étant Anglaise de
naissance.
Nous trouvons
maintenant la Signora Storace, par
le biais d’un engagement très lucrative, en train de se produite dans son
propre pays, à l’Opéra italien du King's Theatre in the Haymarket, où elle
remporte les applaudissements que sa valeur mérite fort justement. Elle y resta
pour deux ou trois saisons. Mais comme c’est la coutume de ce théâtre d’avoir
éternellement soif de nouveauté, elle a trouvé sagement refuge dans l’un de nos
principaux théâtres, Drury Lane, où elle se trouve toujours, à ce jour, et
reçois du trésorier dix livres sterling
chaque soir pour sa présence.
La Signora Storace est plutôt de taille
inférieure à la moyenne, et ses yeux sont très expressifs. Elle a apporté
d’Italie toute la vivacité de ce pays, et bien que dans son jeu scénique elle
soit très fringante ; pourtant, dans certains rôles, elle est
singulièrement vulgaire. Ses connaissances musicales sont très grandes, et elle
doit plus à son jugement qu’à sa voix, qui n’est en aucune mesure douce, et
très souvent fausse.
On raconte qu’elle est
tellement avare, qu’après une soirée fatigante, de manière à épargner un
shilling, elle rentrera à pied chez elle, socques aux pieds, en risquant sa
santé, dont la perte lui couterait de nombreuses livres sterling.
Signora
Storace a occasionnellement
été engagée au Concert of Ancient Music, à tous les festivals dans le pays, &c.
par les moyens desquels, selon elle-même, elle a gagné sept ou huit cent livres
sterling par an, et elle a l’intention de prendre sa retraite de la scène après
cette saison.
En général, il faut
admettre, que la Signora Storace,
si l’on doit la juger sur ses capacités musicales, est l’honneur de son pays ;
et peut être justement rangée parmi les premières interprètes dans sa
profession.
Magnus Apollo.*
[Mr. KELLY fera l’objet de notre prochain numéro.]
[The Tomahawk! or,
Censor general, Numéro VI (Mardi 3 novembre 1795), p. 25]
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