Gertrud Mara (1749-1833), collègue et rivale de Nancy Storace (2)



En 1787, le ténor Michael Kelly, ami de Nancy Storace répond au compositeur Samuel Arnold qui lui demandait quelle sorte de chanteuse était Madame Storace, qu’elle était « la meilleure chanteuse d’Europe ». Dans ses mémoires, le ténor poursuit, « Ce que je voulais dire, bien sûr, c’était "dans son style" ; mais, comme elle me le prouva par la suite, Madame Mara fut extrêmement offensée de la louange que j’avais accordée à mon amie, et dit à une dame, lorsque je quittais le foyer des artistes, que j’étais un impertinent freluquet ».

Qui était donc cette cantatrice si susceptible ?

La première partie de la biographie de Gertrud Mara se trouve ICI.


Gertrud Mara  (1749-1833) portrait


Les années berlinoises de Gertrud Mara : 1771-1779


 
En 1771, Gertrud Schmeling fut de nouveau recommandée à Frédéric II de Prusse. Mais cette fois-ci, comme "la plus brillante chanteuse du siècle". Sur les instances du Comte Zierotin-Litgenau (le "directeur des spectacles") et de Franz Benda, le monarque consentit à l'auditionner, ce qui est ainsi relaté de manière relativement peu modeste par Mademoiselle Schmeling dans ses Mémoires.

Quand elle arriva à Sans-Souci, le Roi jouait un concerto avec un effectif de deux violons et un clavecin, avec Quantz comme auditeur. Quand il eut fini, Frédéric la fit appeler dans son salon de musique.

"Le Roi était assis dans un sofa avec le général [Tauenzien], près de trois lévriers italiens - qui aboyèrent quand ils me virent. Le Roi les appela à lui, et je m'approchais pour embrasser le bord de son manteau, mais il ne me permit pas de le faire. Au lieu de cela, il me dit "Allons-nous vous entendre ?" Je lui répondis : "Comme Votre Majesté le souhaite." et me tournais vers le clavecin. A cette époque, je n'étais pas anxieuse de gagner l'approbation du Roi, parce que j'avais envisagé de partir de toute façon en Italie pour étudier de manière plus approfondie ; aussi n'avais-je pas la moindre peur. De plus, je savais ce que je faisais. Donc, je restais là très calmement, regardant les tableaux magnifiques, comme on jouait la ritournelle de l'air ; puis je chantais l'air en entier. Le Roi me dit "Bravo" plusieurs fois, et à la fin de l'air, il vint à moi, me demanda qui étaient me professeurs, et si je pouvais chanter à vue. Je dis que oui, et il me tendit le fameux air de braboure de Britannico, l'opéra de Graun, "Mi paventi, il figlio indegno".

Je le lu, et le chantais, comme c'est ma façon, une demie fois plus rapide que cela avait été chanté par Astrua, qui m'avait précédée dans le rôle. Les musiciens avaient du mal à me suivre ; je pense qu'ils se disaient que j'étais une espèce de sorcière. Le Roi parut admirer mes capacités. Le soir suivant, je fus appelée pour me produire à nouveau, et ainsi pendant six semaines. J'étais souvent sur le point de demander la permission de partir en voyage en Italie de manière à me perfectionner, mais le roi me dit que je n'en avais nul besoin et que si je le faisais, mon chant se détériorerait. Il était en général fort gracieux avec moi, presque galant. Je pense que nos conversations lui plaisaient, comme de me voir le regarder directement dans ses grand yeux bleus, plutôt que de regarder par terre, comme tant d'autres, qui disaient qu'ils ne pouvaient soutenir son regard."

("Eine Selbstbiographie der Sängerin Gertrud Elisabeth Mara," O. von Riesemann (éditeur) dans Allgemeine Musikalische Zeitung, Vol. X (11 août -29 septembre 1875), pp.497-98.)

Elle fut engagée comme prima donna après ces six semaines de concerts impromptus, et reçut un salaire annuel de 3 000 thalers pour une période de deux ans. 

En 1771, elle chanta dans Piramo e Tisbe de Hasse à Potsdam, avec Concialini. 

L'ambiance musicale de Berlin dût être stimulante au début. On sait qu'elle étudia la théorie musicale avec Kirnberger. 

Elle décrit ainsi le contexte professionnel dans lequel elle se trouvait :

"Le travail était aisé. Le Carnaval durait environ six semaines ; on produisait deux opéras, chacun donné cinq fois. Le personnel de la troupe consistait en huit personnes : Porporino, contralto, et chanteur étonnant dans l'adagio, soixante ans ; Concialini, soprano et chanteur agréable dans le cantabile, environ trente-six ans [...] Grassi, un ténor moyennement bon, et également trois sopranos moyennes [...] Une seconda Donna appelée Casparini, de soixante ans [....] et moi-même. L'entrée pour l'opéra était gratuite. [....] L'opéra était si grand qu le roi faisait appeler une compagnie d'un de ses régiments pour se placer au parterre pour réchauffer la salle. Le roi se tenait avec ses généraux juste derrière l'orchestre et nous lorgnait, en criant souvent Bravo. [...]"

Cependant, au bout d'un an, elle se querella si violemment avec son père (qui avait été engagé dans l'orchestre) que Frédéric II leur ordonna de vivre séparément. Ce dernier était apparemment violent avec sa fille. 

Peu de temps après, Gertrud fut impliquée dans un scandale concernant ses relations avec un violoncelliste de l'orchestre, Johann Baptist Mara (1744-1808). Elle demanda la permission de l'épouser. Frédéric II refusa, car l'homme était notoirement connu pour sa paresse et sa vie dissolue. Les deux amants auraient alors tenté de s'enfuir hors de Prusse. Frédéric II fit emprisonner J B Mara. Schmeling offrit alors de quitter Berlin si le mariage était conclu. Le roi accepta mais uniquement à la condition que Gertrud Schmeling serait attachée de manière permanente à la cour pour le reste de son existence. 

Le mariage se fit donc vers 1772 ; elle eut le loisir de s'en repentir, son mari se montrant aussi dissolu et arrogant qu'on le lui avait laissé entendre. 

Mme Mara, très mécontente de son sort dans la troupe de l'opéra de Berlin, fit souvent semblant d'être malade -l'anecdote selon laquelle Frédéric II dépêcha un groupe de soldat qui menaça d'emporter le lit et la malade sur scène, est restée célèbre-, chanta parfois prise de boisson et essaya de trouver tous les moyens possibles pour échapper à son sort.

Le musicographe Charles Burney qui la rencontra à Berlin à cette période la décrit ainsi :

"Mlle Schmeling me reçut avec politesse et simplicité. Elle est petite et sans beauté, mais son visage n'a rien de désagréable ; bien au contraire, il respire une bonne humeur qui la rend d'un abord facile et engageant. Ses dents sont irrégulières et avancent à l'excès mais sa jeunesse et son sourire la rendent plutôt agréable à voir. 

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Je m'aperçus qu'elle n'avait pas oublié son anglais ; certes les mots ne lui venaient pas toujours, mais ayant appris notre langue dans son jeune âge, il lui était resté une prononciation parfaitement correcte. Comme je l'en priais, elle consentit à chanter peu après mon arrivée chez elle. Elle commença par un redoutable air de bravoure de Traetta, que j'avais déjà entendu chez la Mingotti. Son exécution fut admirable et répondit pleinement à la haute opinion que j'avais conçu de ses capacités ; je trouvais seulement sa voix un peu voilée, et pas tout à fait aussi forte que je m'y attendais. Il est vrai qu'elle se plaignait d'une indisposition, souffrant d'une toux et d'un rhume léger ; malgré cela, la voix était douce et parfaitement juste. Elle avait un trille excellent, une bonne expression, et une facilité stupéfiante dans l'exécution et l'articulation de diminutions rapides et difficiles. 

Pour second air, elle chanta un Larghetto de Schwanenberg, compositeur résidant à Brunswick ; ce morceau était très joli en lui-même, mais elle le rendit véritablement délicieux par son goût et son expression ; sans prodiguer inutilement les fioritures, elle sut les approprier judicieusement au style de la musique et à l'idée du poète.
Elle chanta ensuite un andante tiré du rôle qu'elle étudiait pour le carnaval, dans la Merope de Graun elle s'en acquitta avec un goût et une expression parfaitement accordés à ce morceau. [...]"

Le correspondant allemand de Charles Burney, lui avait précisé qu'elle "chante du sol grave jusqu'au contre-mi avec la plus grande aisance ; sa volubilité et son portamento di voce me paraissent inégalés." (Charles Burney, The Present State of Music in Germany, The Netherlands and the United Provinces - traduit par Michel Noiray, Voyage Musical dans l'Europe des Lumières. Paris ; Flammarion, 1992, pp. 404-405) 

Les principaux opéras chantés lors des festivités de Carnaval étaient les suivants (les opéras dans lesquels chanta Gertrud Mara sont indiqués en gras) : 

Carnaval de 1772-73 : reprise de I Greci in Tauride (d'Agricola) et de Merope (opéra de Graun, créé en 1756, pour lequel Frédéric II avait fourni des textes mis en vers par Tagliazucchi.) 

En 1773, la cantatrice se produisit dans L'Eroe Cinese (Der Chinesische Held) de Hasse, au théâtre de Sans-Souci : elle chanta Lisinga, face au Leango de Grassi, au Silveno de Huber/Porporino, à l'Ulania de Mme Gasparini et au Minteo de Concialini. 

Carnaval de 1773-74 : reprise de Arminio (Hasse, livret de Pasquini. Mara prit la suite de la Faustina) et de Demofoonte (Graun, avec trois airs composés par Frédéric II, sur un livret de Metastasio) 

Carnaval de 1774-75 : reprise de Semiramide (Graun) et de l'Europa galante (Graun, livret de Villati d'après La Mothe, 1748) 

Carnaval de 1775-76 : Attilio Regolo de Hasse (livret de Metastasio, créé à Dresde en 1750) et reprise de Orfeo (Graun, livret de Villati, adapté de Du Boulay, créé en 1752) 

Durant l'été 1775, elle interpréta à Potsdam le rôle d'Elpinice dans le Partenope de Hasse, face à Concialini et Porporino. 

Eté 1776 : reprise d' Angelica e Medoro (arrangé par Reichardt et Landi; pour la visite du Grand Duc de Russie.) 

Carnaval de 1776-77 : reprise d' Angelica e Medoro (arrangé par Reichardt et Landi) et Cleofide de Hasse (livret de Metastasio, créé à Dresde en 1728, Frédéric II étant présent) Gertrud Mara chanta Cleofide face à l'Alexander de Conciali. 

Carnaval de 1777-78 : reprise de Rodelinda (premier opéra composé par Graun pour Berlin en 1741, livret adapté par Rolli par Botarelli). Mara chanta évidemment le rôle-titre, face à Concialini en Bertarido ; et Artemisia (de Hasse, livret de Migliavacca ; la musique fut arrangée par Reichardt; créé à Dresde en 1754) 

Il n'y eut pas d'opéra jusqu'en décembre 1779 à cause de la Guerre de succession de Bavière. 

Décembre 1779 : reprise de Rodelinda (Le carnaval prit fin le 13 janvier 1780 à cause du décès de la princesse Amalia et aucun autre opéra ne fut donné cette saison) 

En 1774, à la mort d'Agricola, Karl Friedrich Fasch le remplaça. Il avait été depuis 1756 l'assistant de C. P. E. Bach. Il tint le poste de Kapellmeister sans en avoir le titre entre 1774 et 1776. Il fut remplacé en 1776 par J. F. Reichardt, qui fut Kapellmeister en titre. Ils écrivirent de nombreux airs taillés sur mesure pour la Mara, dans les ouvrages que l'on remettait au théâtre. 

Les péripéties qui entourent la reprise d'Angelica e Medoro illustrent assez bien l'ambiance artistique de l'opéra de Berlin. 

En juillet 1776, Frédéric II reçut la visite du Grand Duc Paul Petrovitch. Pour les festivités qui entouraient cette visite, Frédéric demanda deux mois avant à ce que la compagnie d'opéra reprenne l'Angelica e Medoro de Graun déjà donné en 1749. Il exigea que Reichardt et Landi -le dernier librettiste engagé en 1767- écrivent un nouveau prologue qui célèbre les génies de la Russie et de la Prusse, et qu'ils pratiquent des coupures dans l'oeuvre, qui serait donné au petit théâtre de Postdam. L'air principal , "Nell' orror d'altra foresta", écrite pour Astrua en 1749 devrait être recomposé spécifiquement pour Mara. Le Baron Von Armin, directeur du Schauspiel, était chargé de la supervision des préparatifs. 

Ces ordres précis plongèrent la troupe dans une perplexité proche de la panique. Landi se rendit compte dès le 25 mais qu'on ne pourrait transférer l'opéra dans le plus petit théâtre. Comme il s'en explique dans une lettre à Von Armin, comment faire rentrer la tempête sur le plateau ? Il serait donc obligé de modifier le livret de manière plus importante, tout en s'assurant que si la nouvelle mouture de l'opéra devait être donnée à Berlin en période de carnaval dans le plus grand théâtre, il retrouverait sa magnificence de décorations. A la suite de ce courrier, Fréderic II décida de faire représenter l'oeuvre à Berlin, plutôt que de la modifier pour une seule représentation à Potsdam. Landi se borna à écrire un nouveau prologue (un duo entre les deux Génies de la Russie et de la Prusse, qui devaient être chantés par le Signor Tosoni et Madame Koch) et de faire quelques modifications. Reichardt le composa, ainsi que l'air écrit pour la Mara. 

Mais cette dernière, furieuse de devoir chanter un air de Reichardt qu'elle détestait et traitait d' "égocentrique arrogant", renvoya au roi la partition de son air, accompagné d'un mot indiquant qu'elle refusait de chanter cette musique. Frédéric II écrivit alors un Cabinetsordre afin qu'elle soit arrêtée et conduite à la prison de Spandau. Dans la marge il inscrivit, "elle est payée pour chanter et non pour écrire." 

Par ailleurs, les répétitions se passaient assez mal, car le Génie de la Prusse (Tosoni) était grand et robuste, alors que le Génie de la Russie (Koch) était petite et timide, ce qui pouvait conduire à un incident diplomatique. On remplaça donc Koch par Porporino, qui fut flanqué de Madame Koch prête à chanter le rôle au cas où ce dernier n'aurait pas eu le temps de le mémoriser, et qui l'aurait alors mimé... 

La représentation donnée fut acceptable. Madame Mara, finalement restée en liberté, aurait chanté magnifiquement toutes les parties écrites par Graun, mais aurait délibérément mal interprété l'air de Reichardt, si l'on en croit les mémoires du temps. Mais il n'était forcément nécessaire de l'emprisonner pour la faire chanter, une menace contre son mari était apparemment une incitation suffisante. 

Gertrud Mara reçut vers 1779 des offres avantageuses de Londres. Elle demanda un congé qui lui fit refusé. 

En août 1779, Gertrud et son mari finirent par fuir Berlin. La légende veut qu'ils se soient enfuis dans des circonstances rocambolesques. Faut-il croire tous ces récits ? La guerre de succession de Bavière qui avait éclaté en 1778 avait de toute façon sonné le glas de l'opéra à Berlin. Frédéric II assista pour la dernière fois à un opéra lors du Carnaval 1780-1781.

Voyages continentaux de Gertrud Mara : Munich et Vienne


Les époux Mara traversèrent l'Europe ; passant par Leipzig et Dresde, ils arrivèrent à Vienne en 1780 où ils seraient restés deux ans, mais les mentions de sa collaboration avec Nancy Storace durant cette période à Vienne sont erronées, puisque la cantatrice anglaise n'y arrivera qu'en 1783... Il s'agit peut-être d'une confusion avec leur collaboration forcée au King's Theatre. 

Ils étaient également passés par Munich en novembre 1780. 

Nous avons quelques détails de leur académie commune du 8 novembre, durant laquelle elle chanta trois airs, grâce à la correspondance de Wolfgang et Leopold Mozart. 

Mozart, en pleine préparations pour son Idomeneo, se montre plutôt dur envers la chanteuse :

"[...] La Mara n'a pas eu la chance de me plaire du tout - elle en fait trop peu pour égaler une Bastardina [Lucrezia Agujari] (car ce serait son emploi) - et en fait trop - pour toucher le coeur, comme une Weber [sa future belle-soeur, dont il était encore amoureux] - ou toute autre chanteuse sérieuse. [...]" (lettre à Leopold, datée du 13 novembre 1780)

Le caractère des deux époux Mara était bien connu, car Leopold, dans une lettre du 20 novembre renchérit : "[...] Est-il bien vrai que Mdme Mara a fait un scandale parce qu'on n'a pas laissé son mari l'accompagner ? -- qu'elle a pris l'orchestre à partie ? Que M Cannabich a eu un échange de mots avec M. Mara ? Je crois que M Fiala l'a appris par son beau-père. [...]"

Mozart raconte toute l'affaire dans une lettre à son père, datée du 24 novembre 1780 :

"Au sujet de l'histoire de Mara - Je veux vous la raconter en entier. [...] je connais l'affaire mieux que personne car j'étais présent et donc, spectateur et auditeur. Après la première symphonie, c'était au tour de Madme Mara de chanter - je vis M. son époux se faufiler derrière elle, un violoncelle en main. - Je crus qu'il s'agissait d'une aria avec un violoncelle obligé - le vieux Danzi (un très bon accompagnateur) est ici premier violoncelliste. Tout à coup, le vieux Toeschi (qui est aussi directeur, mais qui n'a pas à commander du moment que Cannabich est là) dit à Danzi (NB : à son gendre) lève-toi et laisse la place à Mara. - Entendant et voyant cela, Cannabich crie : Danzi, restez assis - le Prince Electeur aime bien voir ses gens accompagner. On commença alors l'aria. - Giov. Mara était planté comme un pauvre pécheur, derrière sa femme, sa petite basse à la main. - Dès qu'ils sont entré dans la salle, ils m'ont semblé insupportables - car on n'a pas souvent vu une telle insolence - la suite vous en convaincra. - l'air était en 2 parties - Madme Mara ne jugea pas bon d'aviser l'orchestre et descendit de scène pendant la ritournelle, avec son air d'effronterie inné, pour présenter ses compliments à leurs seigneuries. Pendant ce temps, son mari interpella Cannabich ; - je ne peux tout écrire, ce serait trop long - en un mot, il insulta l'orchestre - le caractère de Cannabich. - Bien sûr, Cannabich perdit patience - lui saisit le bras et dit : ce n'est pas le lieu pour vous répondre, ici. - Mara voulait encore parler, mais il le menaça, s'il ne se taisait pas, de le faire mettre dehors. - Tout le monde était furieux de l'impertinence de Mara. - Entre-temps, on joua un concerto de Ramm. - les 2 chers époux allèrent alors se plaindre au comte Seeau - mais durent s'entendre dire, ici, comme par tout le monde, qu'ils avaient tort. - Finalement, Madme Mara commit la sotise de descendre voir le prince - et son mari dit alors, tout fier : Ma femme est en train de se plaindre auprès du prince électeur ; ce sera la ruine de Cannabich - j'en suis désolé. Mais on se moqua cordialement de lui. - Le prince électeur répondit à la plainte de Madme Mara : Madame, vous avez chanté comme un ange, bien que ce ne soit pas votre mari qui vous ait accompagnée. Et comme elle voulait pousser la plainte, il dit : oui, ça ne me regarde pas, c'est l'affaire du comte Seeau. - Lorsqu'ils virent qu'il n'y avait rien à faire, ils s'en allèrent - alors qu'elle aurait dû chanter encore 2 airs ; - cela veut dire, en clair, affronter le prince électeur. - Je sais avec certitude que s'il n'y avait pas eu ici l'archiduc et de nombreux étrangers, on les aurait traité de tout autre manière - mais le comte Seeau prit peur, les fit rattraper et ils revinrent. - Elle chanta ses 2 airs sans que son mari l'accompagne. Dans le dernier - je crois bien que M. Mara l'a fait exprès - il manquait 3 mesures (NB : uniquement dans la copie de Cannabich) - lorsqu'on en arriva là, Mara retint le bras de Cannabich - celui-ci s'y retrouva tout de suite - tapa de l'archet sur le pupitre et cria tout haut : il y a une faute ici ; - lorsque l'aria fut finie - il dit : M. Mara, je vais vous donner un conseil - tenez-vous le pour dit, - ne retenez jamais le bras d'un directeur d'orchestre -vous pourriez récolter une demi-douzaine de soufflets. Le ton de Mara avait baissé - il demanda pardon et présenta ses plus plates excuses. - Le plus scandaleux de toute l'affaire est que Mara (un misérable violoncelliste, tout le monde le dit) ne se serait jamais fait entendre à la cour sans l'aide de Cannabich, qui s'efforça de s'entremettre pour lui. [...]" (traduction de Geneviève Geffray)

Mozart réentendit Gertrud Mara à Vienne en mars 1781 (sans doute le mardi 20 mars), lors d'un concert au Burgtheater, comme en témoigne sa lettre datée du 24 mars :

"[...] La Mara est ici ; - elle a donné une académie au théâtre, mardi passé. - Son mari n'a pas dû se montrer, sinon tout l'orchestre aurait refuser d'accompagner parce qu'il a fait imprimer dans les journaux qu'il n'y a pas dans tout Vienne une personne qui soit en mesure de l'accompagner. [...]" (traduction de Geneviève Geffray)

Joseph II avait promis sa protection à la cantatrice, qui ne fut pas inquiétée, malgré les possibles tentatives d'extradition de la part de Frédéric II. Elle avait été reçue par l'Impératrice Marie-Thérèse en 1780. Elle rendit également visite à Gluck qui lui chanta à sa demande, "une cantate qui me fit grande impression par son interprétation passionnée, en dépit de sa voix rugueuse." (Autobiographie)

Les Mara quitta Vienne en 1782, et après avoir traversé l'Allemagne, la Hollande et la Belgique, ils arrivèrent à Paris.



Ce texte a été rédigé en 2006-2007 pour ODB-opera.

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