Gertrud Mara (1749-1833), collègue et rivale de Nancy Storace (3)
En 1787, le ténor Michael Kelly, ami
de Nancy Storace répond au compositeur Samuel Arnold
qui lui demandait quelle sorte de chanteuse était Madame Storace, qu’elle était
« la meilleure chanteuse d’Europe ». Dans ses mémoires, le ténor poursuit, « Ce
que je voulais dire, bien sûr, c’était "dans son style" ; mais, comme
elle me le prouva par la suite, Madame Mara fut extrêmement offensée de la
louange que j’avais accordée à mon amie, et dit à une dame, lorsque je quittais
le foyer des artistes, que j’étais un impertinent freluquet ».
Qui était donc cette cantatrice si
susceptible ?
Armida. Gravure de J Collyer,
d'après P. Jean.
Publié par Darling & Thomson en
1794.
De nombreuses versions de ce
portraits circulèrent.
Séjour parisien : 1782-1783
Une possible lettre d'introduction
de l'Impératrice Marie-Thérèse pour Marie Antoinette lui permis sans doute de
se faire plus facilement une place dans la vie musicale parisienne.
Sa première apparition au Concert
Spirituel, le 19 mars 1782, fut un véritable triomphe. Elle se produisit
également en concert à Versailles et à Paris et fut nommée première chanteuse
de la Reine.
Louis Petit de Bachaumont
(1690-1771) et ses continuateurs, dans les Mémoires secrets pour servir à
l'histoire de la République des Lettres en France, depuis MDCCLXII, ou Journal
d'un observateur, contenant les analyses des pièces de théâtre qui ont paru
durant cet intervalle, les relations des assemblée littéraires... relatent
cette apparition :
"20 mars [1782] Il y a dejà eu deux concerts spirituels depuis la cloture des grands spectacles, & l'affluence a été considérable : il paroît que le sieur le Gros, qui en a toujours la direction, a redoublé d'efforts pour les rendre brillants en ouvrages nouveaux & en virtuoses.[....] Madame Mara est une étrangère qui, à l'expression de Mad. Todi, joint tout l'art de Mademoiselle Danzi, aujourd'hui Mad. Le Brun ; & par la réunion des qualités les plus rares & les plus précieuses, passe pour la première cantatrice d'Europe. Rien n'est comparable au fanatisme qu'elle a excité, & seule elle auroit fait le succès des concerts du sieur le Gros qui lui donne dix louis chaque fois qu'elle chantera. Elle a commencé mardi pour la première fois." (Tome XX, pp. 132 sq)
Assez rapidement, sa rivalité avec
la cantatrice Luisa Todi divisa les amateurs parisiens en deux factions.
"29 avril [1783]. Madame Todi & Madame Mara, qui, pendant tout le temps qu'à duré le concert spirituel, ont chanté alternativement & quelquefois le même jour, se sont enfin livré dimanche un dernier assaut où toutes deux ont été applaudies à tout rompre.Il est certain que madame Mara a l'organe infiniment supérieur, que les connoisseurs les plus difficiles, les étrangers qui ont le plus voyagé, assurent qu'il n'y en a pas deux de cette espèce; sûreté, netteté, pureté, aisance, étendue, elle a toutes ces qualités au suprême degré ; elle se joue des difficulté, elle excelle dans les airs de bravoure ; mais madame Todi a infiniment plus de sensibilité & la surpasse de beaucoup dans le cantabile; en un mot, la première n'est que cantatrice ; c'est peut-être la plus parfaite qu'on ait entendu pour flatter l'oreille ; la seconde remue le coeur et le pénetre. Une dame balançant la couronne entre elles deux, a fait à cette occasion le madrigal suivant.Todi, par sa voix touchante De doux pleurs mouille mes yeux ;Mara, plus vive, plus brillanteM'étonne, me transporte aux cieux.L'une & l'autre ravit, enchante;Et celle qui plait le mieux,Est toujours celle qui chante.Ces deux chanteuses ont aussi donné lieu à un calembour de la part d'un amateur à qui l'on demandoit celle qui aimoit le mieux ; il répondit: Ah, c'est bientôt dit (c'est bien Todi.)" (Tome XXII, p. 233 sq.)"16 juin [1783] Les amateurs de musique sont désespérés du départ de madame Mara qui va en Angleterre, & se disposent à jouir des derniers moments de madame Todi, qui se rend en Russie, d'autent que l'engagement de celle-ci avec ce royaume est très-long; quant à la première, ele pourra s'échapper & venir de temps en temps se faire entendre à Paris.On s'entretient de nouveau d'elles, & n'ayant plus rien à dire sur la nature de leur organe, sur leur talent bien constaté & bien différencié, on recherche tout ce qui les intéresse. [...]Madame Mara est née en Saxe ; elle en est sortie toute jeune, & a été élevée en Angleterre par le Signor Paradisi, nom tout-à fait-inconnu. Elle fut appellée à Berlin, d'où elle nous est venue, déjà précédée de sa réputation qu'elle n'a point démentie.Toutes deux chantent le françois ; madame Mara excelle sur-tout dans les chansons françoises, malgré un foible accent dont elle tire même parti pour donner plus de graces à son chant. Quant à madame Todi, comme elle parle à merveille notre langue, point de doute qu'elle n'y reussît. On ajoute que toute deux ont infiniment d'esprit dans la société." (Mémoires secrets..., Tome XXIII, juin 16, p. 10 sq)
La
Correspondance secrete, politique & littéraire, ou Mémoires pour servir à
l'Histoire des Cour, des Sociétés, & de la Littérature en France, depuis la
mort de Louix XV, touche
également mot de cette rivalité :
"De Paris, le 23 avril 1783, [...] Il y a eu combat à vie ou à mort entre Madame Mara & Madame Todi. Ne vous épouvantez pas, Monsieur ; il ne s'agit que de chanteuses & de musique. L'action s'est passée au concert spirituel, en présence d'un grand nombre de juges. J'en suis fâché pour l'Allemagne, mais l'italienne semble avoir réuni les suffrages. On lui a trouvé d'abord moins d'orgueil & ensuite plus de talent qu'à Madame Mara. Celle-ci a cependant chanté au dernier Grand couvert ; j'ignore si elle a réussit, mais je n'en doute pas, parce qu'elle n'étoit en comparaison qu'avec elle-même, & dans ce cas elle est sûre de plaire. Madame Todi l'emporte, selon moi, pour la facilité, pour l'expression & pour le son de voix ; mais le public est partagé, en Marates (mauvais calembourg) & en Todistes. Chacun de ces partis est entîché de son idole, prétend obstinément lui attribuer la supériorité. Tous ces débats, à dire vrai, sont aussi vains que pitoyables. Dans la préférence que chacun donne aux talmens de l'une de ces virtuoses, il ne consulte que ses goûts, que ses préjugés, que l'esprit de parti; aucun n'a la bonne foi, le désintéressement de rendre hommage à la vérité & de convenir que si le cantabile, que Madame Todi chante si purement, exige de la fraîcheur, de la flexibilité, de l'étendue, de la justesse dans la voix, les mêmes qualités sont indispensables pour les airs de bravoure que Madame Mara rend avec autant de liberté que de précision. Il seroit peut-être juste de dire, que, le talent de ces deux cantatrices étant également supérieur, la seule préférence que l'on puisse donner à l'une ou à l'autre, ne doit raisonnablement provenir qu'en raison du genre & non de la supériorité. [...]" (pp. 263-264, Tome XIV, Londres, 1788)"De Paris, le 2 juillet 1783, [...] Le concours que je vous ai annoncé entre Madame Todi & Madame Mara, s'est continué depuis la quinzaine dans des concerts particuliers. L'une & l'autre ont conservé leurs partisans, & cette égalité de succès ajoute encore à la célébrité de chacune d'elles. Vous me saurez gré de vous les faire connoître plus particulièrement. [...]Madame Mara est née en Saxe. Elle en est sortie fort jeune & a été élevée en Angleterre ; elle y a reçu les leçons de M. Paradisi, qui n'est connu que par elle ; si les talens répondent à ceux de son élève, la renommée est bien injuste. Madame Mara fut appellée à Berlin, & c'est delà que sa réputation se répandit dans l'Europe; elle vint à Paris où on l'avoit déjà fort préconisée, & où elle n'éprouva cependant point le fort des talens trop vantés. Elle réussit beaucoup, & son succès à ce dernier voyage a été plus éclatant encore. Il s'est soutenu à côté de celui de Madame Todi ; celui de Madame Todi s'est soutenu à côté du sien ; c'est assez les louer l'une & l'autre. Toutes deux sont d'excellentes musiciennes ; toutes deux ont infiniment d'esprit dans la société, ce qui n'est point indifférent à leur manière de chanter : toutes deux ont dans un genre différent un talent très-remarquable." (pp. 402-403, Tome XIV, Londres, 1788)Quand Giovanni Gallini visita la France en 1783 pour recruter des chanteurs pour le King's Theatre, l'opéra italien de Londres, il commença sans doute par contacter Madame Mara.Une lettre de cette dernière, écrite depuis Ostende à Charles Burney, témoigne des raisons de son refus d'alors :"[...] Monsieur; l'amitié que Vous m'avés témoigné autre fois, et dont je me flattois de récêvoir de nouvelles marques cet hÿver, m'arrache l'aveu sincère que c'est avec la plus grande peine que je me vois éloignée encor par des circonstances contraires d'un paÿs, ou j'ai reçu mes premieres idées, et à qui je me suis attachée depuis de tout mon coeur ! les propositions de mr: Gallini étoient trop dures pour pouvoir les accepter; car réellement avec toute la force de ma poitrine, je ne crois pas qu'elle auroit pu suffire à me faire entendre deux fois par sémaine pendant un couple de mois dans le grand Opéera ; Ajoutés-y encor qu'il a marchandé comme on marchande au marché des herbes, et vous pourrés aisement comprendre que je n'aimerois pas avoir à faire à un tel Directeur, à la vérité, trop indiscrêt. En acceptant 1200 £ sterl: pour faire le double service des talents qui ont été avant moi, c'est en même tems me mêttre au dessous d'eux, et ruiner ma santé peutêtre pour jamais si j'ai l'ambition de ne pas vouloir compromettre ma réputation. si Mr: Gallini m'avait donné 1500 £, je les aurois accepté avec les conditions ordinaires, mais come il n'est pas musicien, il a crû risquer son argent qu'il aime beaucoup, et il ne s'est pas fié à ses prore oreilles. Dépuis j'ai promis à Mr: Abel de venir à Londres pour ses concerts, mais tant qu'il a quitté Paris, il ne m'a pas donné de ses nouvelles, et j'ai tout lieu de croire qu'il n'a pas réussi dans son projet. [...] Sachant que j'ai refusé l'engagement de Turin pour avoir le plaisir de passe en angleterre sous des auspices bien moins avantageuses, j'aurois crû du moins, qu'il ne manqueroït pas de m'avertir à tems du succès de son entreprise. [...]"(12 novembre 1783)
Portrait de Hüssner. Leipzig, vers
1792.
Photographie © DR
L'Angleterre (1784-1802)
Les Mara se rendirent finalement en
Angleterre en 1784.
La cantatrice fit sa première
apparition professionnelle lors d'un concert au Pantheon Theatre le 29 mars
1784, pour un concert organisé par Abel. Elle chanta entre autre, "Alma
grand anezzo" de Pugniani et "Vadasi del mio bene" de
Nauman. L'affluence fut médiocre pour les six concerts prévus par souscription,
à cause des élections qui se tenaient au même moment, comme le précise Burney.
Les directeurs du Pantheon lui
donnèrent la permission de se produire aux commémorations handéliennes (Handel
Memorial Concerts) qui se tinrent à Westminster Abbey et au Pantheon, entre
le 26 mai et le 4 juin 1784. Les manifestations étaient organisées par Charles
Burney qui en a laissé une description très précise.
Le premier concert qui se tint à
l'abbaye royale était composé d'extraits d'oeuvres variées, dont une Coronation
Anthem, le Te Deum de Dettinge, un extrait de la Funeral Anthem,
les ouvertures de Esther et Saul et le choeur "The Lord
shall reign" d'Israel in Egypt.
Le concert du Pantheon comportait
des airs, concertos et choeurs, tirés de Joshua, Israel in Egypt et Judas
Maccabaeus. Le seul oratorio chanté en entier fut le Messiah, donné
à l'abbaye le troisième soir, les deux derniers concerts étant des reprises des
premiers concerts.
Les effectifs étaient très
importants : 525 intervenants, dont 251 musiciens et 275 chanteurs (60
sopranos, 48 contre-ténors, 83 ténors et 84 basses. (les solistes sont inclus)
Joah Bates "dirigeait" de l'orgue, assisté de trois sous-chefs
d'orchestres.
L'évènement eut un tel
retentissement qu'il fut repris quasiment chaque année, entre 1785 et 1791
(excepté 1788 et 1789). Haydn assista à celui de 1791 et fut marqué par la
vénération anglaise pour Haendel, qui tint une grande part dans la composition
de ses oratorios La Création et Les Saisons.
La dernière annonce des concerts de
Madame Mara au Pantheon du 11 juin annonçait que ce serait son dernier concert
de la saison, mais elle se produisit cependant en soliste aux Oxford Music Room
le 19 juin 1784.
En 1785, elle donna de nouveau 14
concerts au Pantheon. Mais elle fut également engagée aux Ancient Concerts.
Sa participation aux Handel Memorial
Concerts de l'année se termina par un faux pas qui devint célèbre : elle
resta assise durant le choeur de l'Alleluia alors que toute l'assistance
se levait, y compris la famille royale.
En juin 1785, elle chanta au Oxford
Music Room et refusa de bisser un air. Le jour suivant, elle fut huée lors de
son premier air, et elle s'assit durant le choeur. En dépit de l'assurance du
Doctor Hayes qui annonça au public qu'elle se lèverait durant le choeur
suivant, elle ne le fit pas. Le Vice Chancelier lui fit ordonner de le faire à
l'acte suivant. Elle quitta finalement l'estrade après son air, ce qui provoqua
une émeute.
Cet incident donna lieu à une
caricature, "A Wapping Concert", publiée en 1786, qui la
montre assise, près du texte suivant : "MADAME MARA prie son Public Poli
de l'excuser de s'asseoir durant la représentation, car elle a contracté durant
son enfance une Maladie appelée Le Genoue Inflexible, ou (Genou Raide)
qui l'empêche de se lever, même durant les Pièces de Musique la plus Sacrée -
ses Ennemis l'appellent Orgueil, mais cela doit être de la perfidie,
puisqu'elle n'est même pas capable de se lever devant ses Majestés; ou devant
le Nom Sacré de Jehovah."
En octobre 1785, elle favorisa les
souscriptions pour les concerts à Willis's Rooms concurrençant ceux donnés par
Gallini à Hanover Square. Elle se fit sans doute £ 3000 avec ces apparitions.
Le 29 novembre 1785, The Public
Advertiser déclara qu'elle était " sans contredit la première
chanteuse du monde".
Un autre incident se produisit le
même mois au Winchester Music Festival quand elle refusa à nouveau de bisser un
air et se plaignit que les "bouseux du Hampshire" l'avaient "grunted
out of the room" [fait sortir par leurs grommellements]
En janvier 1786, elle signa un
contrat avec le King's Theatre. Son mari l'avait accompagnée, et se produisit
dans certains des orchestres avec lesquels elle chantait. Comme on le verra
plus précisément, la plupart des opere serie chantés par Mara furent
revus selon ses spécifications. Elle continua à apporter ses propres arie di
baule, et à imposer ses desiderata. Comme elle avait reçu une formation
musicale plus importante que beaucoup de ses collègues, cela lui permis de
réviser de manière importante les partitions.
Elle commença sa collaboration avec
l'opéra italien, en chantant Didon dans un pasticcio, Didone Abbandonata,
le 14 février 1786. Ce pasticcio était dirigé par Anfossi, et arrangé
par Madame Mara qui sélectionna des morceaux de Sacchini, Mortellari, Piccinni
et Schuster, sur un livret adapté de Metastasio.
Le Morning Herald (15 février
1786) déclara qu'elle avait "les talents d'une excellente actrice avec le
mérite de la chanteuse la plus enchanteresse qui se soit produite sur aucune
scéne."
Mais ces compliments quant à son jeu
sont excessifs, si on compare cette opinion avec celles du connaisseur
Mount-Edgcumbe :
"[...] Les talents musicaux de Mara (car elle n'était pas une actrice et avait un mauvais physique pour la scène) étaient du tout premier ordre. Sa voix, claire, douce, distincte, était suffisamment puissante bien que très mince, et son agilité et sa flexibilité en faisaient une chanteuse d'agilité, dans lequel style elle était sans rivale ; et bien qu'elle réussisse assez bien les airs les plus pathétiques et solennels de Haendel, cependant on pouvait l'y prendre en défaut, et il apparaissait un manque de sentiment en elle, qu'elle arrivait cependant à communiquer à son auditoire. Son interprétation dans [Didone Abbandonata] fut parfaite, et donna entière satisfaction. [...]" (Musical Reminiscences of an Old Amateur, pp. 59 sq. Londres ; W Clarke, 1827)
Burney se montra très louangeur, la
comparant à une déesse tombée parmi les mortels. Il précise que l'air "Se
il ciel mi divide" avec violon obligato du Poro de Haendel avait
été inclus dans ce pasticcio par Madame Mara. (General History of Music...
IV, p 352). Lord Cooper compara sa voix à un violon.
Son second rôle fut Andromeda dans
le Perseo de Sacchini (peut-être révisé par Madame Mara) dont la
première eut lieu de 21 mars 1786. Elle bissa un air de bravoure, "Non
è la mia speranza". Elle avait apparemment également dirigé les
choeurs, ce qui "expliquait la précision inhabituelle avec lesquels ils
furent exécutés" (General Advertiser)
Le 24 mai 1786, elle chanta le rôle
titre de Virginia, en face de Rubinelli (Icilio) qui faisait ses débuts
londoniens. Ce pasticcio, fondé sur l'oeuvre de Tarchi -avec des insertions
de Cherubini et Anfossi- fut dirigé par Cherubini. Le texte, assez ridicule,
fut revu car on le considéra comme trop tragique et violent, mais la révision
montre dans la scène finale la malheureuse Virginia, qui rampe à travers la
scène, à la recherche de son amant Icilio, et qui est finalement emportée par
les soldats d'Apio qui se prépare à la violer...
Le 25 mai, elle retrouva Rubinelli
dans Armida, encore un pasticcio, fondé sur les Armida
d'Anfossi et de Jommelli, cette fois-ci d'après Mortellari ; les répétitions se
passèrent fort mal. D'après Burney, elle refusa de chanter les airs qu'avait
composé pour elle Mortellari, y substituant ses propres "airs de
valise" de Pugnani, Monopoli, Sacchini et Schuster, car elle avait déclaré
qu'il ne savait pas écrire, et lui clamait partout qu'elle était incapable de
chanter !
Comme ce fut le cas lors de toute sa
carrière de chanteuse d'opéra, elle continua de se produire en concert : cette
saison, ce fut pendant le Carême, aux Tottenham Court Music Room.
La seconde saison au King's Theatre
commença avec Cleonice dans Alceste (Demetrio) de Gresnick le 23
décembre 1786. Elle chanta en face de Rubinelli. Ce ne fut donné que trois
fois, car Gertrud Mara tomba malade. Son air "Se libera non sono"
était un des airs les plus virtuoses jamais entendu dans ce théâtre, montant
jusqu'au fa 3 (comme la Reine de la Nuit)
Elle alla également chanter "Pious
Orgies" de Judas Macchabaeus, le 23 décembre 1786 à Drury Lane
et participa à divers oratorios cette saison.
Après une brève maladie, elle chanta
une version arrangée du rôle de Cleopatra dans le Giulio Cesare
"de" Haendel au King's Theatre, le 20 février 1787. Il ne s'agit
aucunement de l'oeuvre de Haendel mais d'un pasticcio conçu par Samuel
Arnold : l'oeuvre avait été réorchestrée, refondue en deux actes, et Tolomeo ne
mourrait pas à la fin... Ne restaient de la musique de Haendel que "Alma
del gran Pompeo", "Da tempeste..." (attribué à
Tolomeo), le dernier duo et le choeur final, ainsi que le premier. A Gertrud
Mara étaient attribués : "Agitata, parto si" (d'un Radamisto
qui n'est pas celui de Haendel), des fragments de la scène du Parnasse, "T'amo
si, sarai tu quella" (duo de Cesare et Cleopatra : Riccardo),
"Rendi il sereno al ciglio" (Sosarme), "Dove
sei, amato bene ?" (Rodelinda). Cette "musique
antique" plut au roi, et eut un succès relatif., ce qui soulagea la
direction qui n'avait consenti qu'avec peine à monter l'oeuvre pour une soirée
à bénéfice.
La Mara reprit également ses chevaux
de bataille du moment, Dido, Virginia en mars, puis, le 1er mai 1787, chanta
Emilia dans La Vestale de Rauzzini, qui n'eut
pas le succès escompté avec uniquement deux représentations.
En 1786-1787 elle continua à
susciter la controverse. Selon le satiriste John Wolcot / Peter Pindar, on
annula un de ses concerts lors de la saison d'oratorios à Drury Lane car cela
concurrençait un concert de la Society of Ancient Music qui était sous
le patronage royal.
Elle se produisit à régulièrement,
dans les années qui suivirent dans les Handel Memorial Concerts à
l'abbaye de Westminster : en mai 1787, elle chanta aux côtés de Nancy Storace
-qui remplaçait apparemment Elisabeth Billington. Mara fut cependant critiquée
dans la presse pour avoir exigé de recevoir son cachet de £1200 avant que le
produit des concerts ne soit envoyé aux oeuvres charitables. Ce qu'elle nia.
Durant l'été 1787, elle chanta dans
divers concerts en Angleterre et se produisit à Bath et à Bristol en décembre
de la même année.
En 1787-1788, elle ne renouvela pas
son contrat au King's Theatre, suite à une querelle avec Gallini portant sur
son salaire ; elle se consacra donc aux concerts et chanta au Pantheon et dans
les oratorios de Drury Lane. S'étant réconciliée avec le ténor Michael Kelly,
(ce dernier l'avait offensée en disant que la meilleure chanteuse d'Angleterre
était Nancy Storace, sans préciser "dans sa catégorie"...) elle lui
offrit de participer à sa représentation à bénéfice à Drury Lane dans Mandane
de l'Artaxerses de Arne. Les annonces précisaient bien que c'était sa
première apparition à l'opéra en dehors du King's Theatre. Elle rechanta
d'ailleurs le rôle pour son propre Bénéfice le 28 mai 1788.
Elle retourna sur le continent pour
le carnaval 1789 où elle chanta à Turin ; elle interpréta Stratonica dans le Ariadate
de Giordani au Teatro Regio, ainsi que le rôle-titre de Teodelinda
d'Andreozzi ; elle interpréta le rôle d'Euridice dans le Demetrio a Rodi,
une festa per musica de Gaetano Pugnani, donnée en avril 1789 pour les
célébrations de mariage de Victor Emmanuel d'Aoste et de Marie-Thérèse
d'Autriche.
Forte de ces succès, elle alla à
Venise pour incarner Medea dans Gli Argonauti in Colco, o sia La conquista
del velo d'oro de Gazzaniga et le rôle-titre d'Andromaca de
Nasolini, pour le carnaval 1790 (février) au Teatro di San Samuele.
Elle revint à Londres en 1790 : le
King's Theatre ayant brûlé en 1789, l'opéra italien se donnait dorénavant au
Haymarket. Après des négociations ardues en août 1789, le directeur Gallini
réengagea Luigi Marchesi et Gertrud Mara.
Elle y chanta Dircea, en face du
Timante de Marchesi dans L'Ursupatore innocente, un pasticcio
tiré du Demofoonte de Metastasio, le 6 avril 1790. La musique assemblée
par Frederici comportait des airs d'Andreozzi. Une polémique éclata quant à la
paternité des airs chantés par Mara. The Herald remarqua que
"Madame Mara, dans son périple italien, a acquis une suavité particulière
dans l'expression de ses notes, qui ajoute à l'étendue étonnante de ses
pouvoirs, lui fait verser dans les oreilles un nectar céleste et justifie
l'appellation de Hebe opératique." Elle enchaîna sur le rôle de Cleofide
dans La generosità d'Alessandro de Tarchi, le 29 avril, d'après Alessandro
in Indie.
On monta alors l'Andromaca de
Nasolini que Mara avait chanté à Venise. L'oeuvre fut donnée le 28 mai, date du
bénéfice de Mara. Marchesi inséra ses propres airs. La critique considéra
qu'elle n'avait jamais paru sous un meilleur avantage.
Durant l'été 1790, elle continua ses
tournées de concert (dont Doncaster), tout comme en novembre et décembre
(Bristol).
En 1790, l'impresario et violoniste
Johann Peter Salomon engagea Joseph pour sa saison de concert par souscription.
Gertrud Mara faisait partie des artistes qui y chantaient régulièrement ; son
mari s'entremit apparemment pour le recrutement de Joseph Haydn, comme le
montre une notice parue en décembre 1790 et janvier 1791 dans la presse
londonienne.
En 1791, Gertrud Mara rejoignit
l'opéra italien, dont la patente allait désormais au Pantheon Theatre (Depuis
l'incendie du King's Theatre et sa reconstruction, une dispute homérique
opposait les deux troupes pour le privilège de faire représenter l'opéra
italien.) Le compositeur Girowetz, qui fut engagé au Pantheon au lieu de Mozart
(qui ne répondit sans doute jamais à la lettre du directeur O'Reilly souhaitant
s'assurer ses services) était officiellement en train de composer une Semiramide
-qui ne vit jamais le jour- pour la prima donna seria du théâtre en
janvier 1791.
Elle y apparut en Armida (une
révision du Rinaldo de Sacchini) , face à Pacchierotti pour l'ouverture
de la saison (17 février 1791) et obtint un immense succès, même si les
critiques furent mitigées sur la reprise de l'oeuvre, bien mutilée par rapport
à sa version antérieurement donnée à Londres. Le critique du Oracle (18
février) précisa qu'elle avait joué avec plus de capacité qu'on pouvait
l'espérer. Pacchierotti et Mara tombèrent malade en mars, ce qui repoussa les
représentations.
Elle reprit les chemins de la scène
fin avril, et pour son bénéfice du 14 avril, elle tint le rôle-titre d' Idalide,
o sia la vergine del sole (Sarti, avec des ajouts). Le trio "Di un
si crudele instante" (chanté par Mara, Pacchierotti et Lazzarini) fut
considéré par le Morning Post comme "surpassant tout ce qu'on a
récemment entendu." Mara adapta un duo de Paisiello de La Molinarella,
"Nel core più non mi sento", qu'elle transforma en air, "Ah
chel nel petto io sento". Une polémique s'ensuivit sur la paternité de
l'adaptation, entre Mazzinghi et les Mara, ce qui donna lieu à un récit assez
drôle sur les répétitions chez Gertrud Mara, par le hautboïste Patria.
Le 2 juin, la prima donna
chanta Emilia dans Quinto Fabio de Bertoni, donné pour le bénéfice de
Pacchierotti. L'été se passa comme tous les ans en tournées de concert (dont
York, avec Kelly et Mrs Crouch.)
Durant 1791, elle chanta sous la
direction de Haydn aux concerts organisés par Salomon. Pour donner une idée de
la compétition qui se jouait pour ces concerts, voici une des annonces parues
dans la presse ( Morning Chronicle du 30 décembre 1790) :
"Les préparatifs actuels en matière de musique promettent un hiver des plus harmonieux. Outre deux opéras rivaux, une série de concerts est prévue sous les auspices de Haydn, dont le nom est un monument de force, et que les amateurs de musique instrumentale considèrent comme un dieu de science. Cette série aura pour premier violon Salomon, et comme principale chanteuse Madame Mara. Le Professional Concert, sous la conduite experte de Cramer, sera renforcé par Mrs Billington, assistée à l'occasion par Mr et Mrs Harrison. L'Ancient Concert, sous le patronage de Leurs Majestés, reprendra ses activités peu après l'anniversaire de la Reine, avec comme premier violon Cramer et comme principale chanteuse Storace. [...] Pendant le carême, il y aura des oratorios deux fois par semaine aux théâtres de Drury Lane et de Govent Garden. Telles seront, avec l'Academy of Ancient Music, les principales distractions musicales de l'hiver." (traduction de Marc Vignal)
Elle souhaitait apparemment
retourner en Italie durant l'automne 1791, mais une maladie de son mari l'en
aurait empêchée. Mi-octobre 1791 on annonça que le Pantheon abandonnait la
production d'opere serie pour la saison suivante, en raison des coûts.
Mandane.
Portrait anonyme paru dans
The
Hibernian Magazine, août 1792
Juste avant son départ pour le
continent, Gertrud Mara organisa quelques représentations (les 17, 19, 21 et 22
novembre) au King's Theatre (toujours sans privilège pour l'opéra italien et
qui était alors occupé par la troupe anglaise de Drury Lane, laquelle attendait
la reconstruction de son théâtre) pour y chanter Mandane. Haydn, qui assista à
la seconde représentation, précise qu'elle fut accueillie par des
"tonnerres d'applaudissements."
Son voyage italien la conduisit à la
fin de 1791 à Venise, Milan et Gènes, où elle triompha en dépit des cabales
locales. Malgré les critiques qui attaquaient sa capacité d'actrice, elle se
produisit à nouveau au Teatro di San Samuele pour le carnaval 1792 dans le
rôle-titre de Circe de Paër.
Elle décrit dans son autobiographie
le choc qu'elle eut en voyant la malheureuse Marie-Antoinette traînée à la
Conciergerie en 1792, lors de son passage à Paris.
C'est à peu près à cette époque que
la conduite de son mari devint si insupportable qu'elle réussit à s'en séparer
contre le versement d'une rente. A ceux qui lui reprochaient sa longue
patience, elle répliquait : "Mais n'est-ce pas le plus bel homme que l'on
puisse rencontrer ?"
Avant de quitter l'Angleterre pour
l'Italie, elle avait signé un contrat qui stipulait qu'elle reviendrait au
printemps pour y chanter un opera seria au King's Theatre et qu'elle
devrait 40 soirées à la compagnie de Drury Lane. Salomon avait également
annoncé sa saison de concerts aux Hanover Square Rooms pour 1792 en précisant
que Madame Mara en serait et qu'elle reviendrait mi-mars. Elle retrouva
finalement le sol anglais en avril 1792. Sa première participation à la série
de concerts de Haydn fut pour le neuvième concert du 27 avril 1792 où elle
chanta deux airs. On la retrouve le 3 mai pour le concert bénéfice de Haydn où
elle ne chante qu'une fois et où fut créée la symphonie n° 97. Elle se produit
à nouveau deux fois le 4 mai (dixième concert), le 11 mai (onzième concert). Le
"Times du 14 mai reproche à Madame Mara de mépriser le public en lui
tournant le dos tout en s'appuyant négligemment sur le clavecin, poursuivant :
"Nous regrettons de devoir observer que sur ce plan, presque tous nos
chanteurs ont besoin d'être rappelés à l'ordre."" (Marc Vignal)
Le dernier concert de Haydn pour
cette série est celui du 18 mai ; Gertrud Mara y participe également.
L'opera seria prévu, en
anglais, Dido, Queen of Carthage, donné le 23 mai 1792, fit un four
total. La musique était de Stephen Storace et le livret de Prince Hoare. Alors
que Gertrud Mara aurait dû le chanter 12 fois, elle ne se produisit que 5 fois.
La musique en est totalement perdue.
"Le 1er juin, Mara a donné son concert. On a joué deux de mes symphonies, et je l'ai accompagnée, tout seul au pianoforte, dans un air anglais très difficile de Purcell. Il y avait très peu de monde." (Haydn, Carnets) Le Morning Herald du 2 juin trouva l'air de Purcell "irrégulier, passionné et pathétique" et rapporte une série d'incidents, dont "la chute d'une tasse entière de thé chaud, due au geste brutal d'un bras maladroit, dans le cou de Mara" [cité par Marc Vignal]
Le 3 juin 1792, elle dîna chez
Stephen Storace, en compagnie de Joseph Haydn, de Michael Kelly et de Nancy
Storace. La soirée dût être mémorable, si l'on en croit la note succinte de
Haydn dans ses Carnets, "Sapienti pauca" !
Le 12 juin, Haydn assista à sa
soirée à bénéfice au Haymarket : elle chantait Didone "de" Sarti,
dont il remarque que seuls un trio, quelques récitatifs et un air, étaient de
Sarti ! Il ne pouvait que le remarquer, ayant dirigé lui-même l'oeuvre une
quinzaine de fois à Esterhazà en 1784-1785...
Elle ne chanta que tard dans la
saison suivante, le 10 novembre 1792, dans Artaxerxes. Le manager de
Drury Lane, Kemble, nota que "Mara a simulé la maladie et a ruiné sa
réputation à Londres." Elle ne chanta cette saison que six fois,
contrairement au 40 soirées prévues par contrat.
Cependant, la saison de Drury Lane
se tenait en alternance avec l'opéra italien au théâtre du King's Theatre -les
travaux de construction de Drury Lane n'étant pas achevés.
A l'opéra italien, géré par Michael
Kelly et Stephen Storace, Gertrud Mara chanta Aspasia dans I Giuochi d'Agrigento (de Paisiello) le 5 février 1793 () -où elle fut huée
à la suite de son refus de chanter un bis. La presse fut partagée : certains
considérèrent que la foule avait eu raison (The Times), d'autres (The
Chronicle) que "on lui avait demandé de manière inhumaine de bisser un
air très difficile... et parce qu'elle n'a pas obéi aux diktats de vingt personnes
sans considération pour elle, elle a été cruellement huée pour le finale."
Elle interpréta également le
rôle-titre de Teodolinda (d'Andreozzi, avec des ajouts de Cimarosa,
Federici et Sarti) en face de Michael Kelly (Minulphus), le 19 mars ; et Zenobia
dans Odenato et Zenobia (pasticcio de Sarti, Giordani, Tarchi et
Federici), le 11 juin. Une assez mauvaise saison artistiquement parlant, pour
le King's Theatre.
Durant l'été 1793, elle participa
aux oratorios donnés à Covent Garden sous la direction de John Ashley. Un autre
incident eut lieu quand elle refusa de chanter le "Mad Bess"
de Purcell dans la troisième partie de l'oratorio le 6 mars 1793, tout en
produisant un certificat médical. On lui fit valoir qu'elle avait chanté les
deux premières parties sans problème. Elle fut remplacée par Mme Dussek au
concert suivant.
A la suite de cette affaire, James
Harrison, chanteur et éditeur de musique, excédé par son comportement, écrivit
une lettre ouverte (anonyme) dans The World, stigmatisant l'attitude de
la cantatrice. Celle-ci se procura l'autographe de la lettre et lui fit un
procès. Qu'elle gagna.... pour recevoir un shilling de dommage et intérêts.
Furieuse, elle refusa de chanter à la soirée à bénéfice de John Ashley... qui
fit un procès à Harrison, clamant que le manque à gagner provoqué par l'absence
de la prima donna était de sa faute !! Le public suivit toutes ses
péripéties avec avidité, d'autant plus que James Harrison était le frère du
chanteur Samuel Harrison avec lequel Gertrud Mara avait eu une liaison affichée
en 1786... (Après une villégiature à Margate, ils s'étaient rendus à Paris
ensemble.)
Après la saison 1792-1793, Gertrud
Mara n'eut plus de contrats de longue durée avec aucun établissement. Elle se
cantonna principalement à des apparitions ponctuelles pour des oratorios ou des
concerts, à Londres (comme aux jardins du Ranelagh) ou en province : Bath,
Dublin...
Durant la saison 1794, engagé par
Salomon, Haydn revint pour une série de concert. Gertrud Mara fut de nouveau
engagée, aux côtés de la basse Johann Ludwig Fisher, l'Osmin de Mozart. Pour le
premier concert du 10 février, elle chanta des airs d'Anfossi et de Guglielmi. The
Oracle précisa : "Mara chanta, c'est assez dire." Pour les
concerts des 17, 24 février et 3 mars, elle fut remplacée par Madame Ducrest,
car elle était malade. Elle reprit du service pour le concert des 10, 17, 24 et
31 mars, et des 7 et 28 avril.
En 1794 Gertrud Mara quitta
officiellement son mari qui s'était signalé par sa conduite désordonnée (boisson,
jeu, infidélités). Comme le hautboïste W. T. Parke le précise dans ses Musical
Memoirs : "Mr. Mara l'aimait comme il aimait la bouteille, et
fréquemment cassait la tête de l'une et fendait celle de l'autre."
Elle se mit en ménage avec le ténor
et flûtiste Charles Hayman Florio -de vingt-cinq ans son cadet-, qu'elle avait
rencontré alors qu'il faisait ses débuts de chanteur aux oratorios de Covent
Garden, les 7 et 21 mars 1794. Les deux amants s'enfuirent à Bath. Le père du
chanteur, Pietro Grassi Florio, serait mort peu de temps après de l'alcoolisme
dans lequel il serait tombé par sa mortification devant ce scandale...
Une lettre de la cantatrice, écrite
à l'actrice Jane Pope révèle ses sentiments à propos du scandale que cela
suscita :
"[...] Dans ma situation présente, je m'aperçois de mon erreur - je n'ai jamais courtisé l'amitié de ceux qui écrivent dans les journaux. Peut-être me suis-je trop enorgueillie de mon talent & de mon caractère privé pour penser que j'avais à les craindre ou que leur soutien puisse m'être nécessaire. Se sentant méprisés, en échange, n'ont pas laissé échapper la moindre anecdote de e qui m'est arrivé en public, pour me taxer d'orgueil et d'impertinence. [...] Il est très cruel après avoir entretenu ma famille et moi-même depuis mes six ans, et ensuite (je suis désolée de le dire) un mari paresseux et extravagant, à la suite de sa prédisposition à la boisson, d'être réduite à cette période de ma vie, à recommencer à zéro pour me procurer les premières nécessités, mais j'espère que ceux qui m'ont honorée de leur protection & amitié ne les retireront pas maintenant [...]"
Le 24 mars 1795, rentrée de Bath,
Gertrud Mara donna un concert à son bénéfice à Hanover Square Rooms, sous la
direction de Janiewicz, avec Clementi au piano. L'affluence fut maigre ; selon
Haydn, il n'y avait pas plus de 60 personnes.
Le 8 juin 1795, le compositeur
participa à un concert à bénéfices pour le flûtiste Ash, prête-nom supposé de
Gertrud Mara. Ce fut sa dernière apparition à un concert en Angleterre.
Le 30 avril 1796, elle chanta
Mandane d'Artaxerxes à Covent Garden, mais le Monthly Mirror
précisa qu'elle "garde toute sa douceur, mais a perdu une bonne partie de
sa puissance."
Caricature de John Nixon :
Madame
Mara à un concert à Bath, avec Venanzio Rauzzini.
Elle rechanta le même rôle à Dublin
l'été 1796 avec Florio en Artaxerxes (qui fut hué chaque soir, selon le Monthly
Mirror.). Il abandonna sa carrière de chanteur peu de temps après et vécut
aux crochets de sa maîtresse.
Johann Baptist Mara resta à Londres,
comme il y était obligé par contrat conclu entre sa femme et lui. Les deux
époux étaient en mauvais termes depuis quelques temps, comme en témoigne Haydn
dans ses Carnets, en évoquant une scène qui eut lieu lors du concert du
24 mars 1795, mentionné plus haut :
"Quand le concert fut fini, Madame Mara donna un soupé dans la pièce voisine. Après minuit, M. Mara fit hardiment irruption et demanda un verre de vin. Madame Mara, voyant qu'il enrageait, et craignant les conséquences, fit appel à son homme de loi, qui était à table, et qui dit à M. Mara : Vous connaissez nos lois, et vous aurez l'amabilité de quitter cette pièce sur le champs, sinon vous aurez à payer £200 demain. Le pauvre homme quitta la compagnie. Madame Mara, sa femme, partit le lendemain à Bath, avec son sigisbée, mais je pense que son obstination égoïste la rend ridicule aux yeux de tout le pays."
Mara quitta le pays quelque temps
après ; il mourut dans la misère aux Pays-Bas en 1808, jouant du violon dans
les tavernes en échange d'un coup à boire.
Alors qu'elle n'était pas considérée
comme une bonne actrice, Gertrud Mara changea de répertoire et se produisit
dans l'opéra comique à Covent Garden. Sa voix commençait sans doute à faiblir.
On la vit donc en Polly dans The Beggar's Opera (25 octobre 1797) ; les
critiques furent plus que mitigées, comme en témoignent ces lignes du Monthly
Mirror : "Sa Polly est totalement grotesque : sa figure, son aspect,
et son âge sont directement répugnants pour notre idée du personnage ; et son
accent étranger et ses gesticulations complètent l'absurdité [de cette prise de
rôle]"
Elle ne se découragea pas,
puisqu'elle chanta également à Covent Garden en 1797-1798 dans Love in a
village, The Castle of Andalusia, The Duenna, Lionel and Clarissa, et Marian.
Le 16 octobre1798, Florio donna un
opéra, The Outlaws à Drury Lane. Ce fut un échec, avec six
représentations. Les rumeurs du temps affirment que le véritable compositeur
n'était autre que Gertrud Mara.
Sa présence en Zemira dans The
Egyptian Festival (Drury Lane, 11 mars 1800) fut admise car c'était une
autre tentative de Charles Florio comme compositeur. Ce fut un échec, malgré
des décorations somptueuses. Le jeu de Mara fut critiqué comme étant un
"scandale absolu pour sa profession" (Dramatic Censor).
Elle participa à l’une des deux
créations anglaises de la Création de Haydn au King's Theatre, le 21
avril 1800 avec Sophia Dussek-Corri.
Le couple continuait à faire
scandale puisqu'en août 1798, ils furent traduits devant les tribunaux pour
avoir séquestrée et battu leur cuisinière quand elle avait désiré rendre son
tablier. Le litige fut finalement réglé à l'amiable.
Devant l'échec de ses prises de rôle
dans le ballad opera, Gertrud Mara retourna à ses premières amours, les
oratorios, et chanta au Haymarket en 1801 dans des extraits de Haendel. Le 15
mai 1801, elle chanta toutefois Lorenza dans The Castle of Andalusia à
Covent Garden, sa seule apparition scénique cette année-là à Londres.
Le 3 juin 1802, elle donna un
récital d'adieu au King's Theatre. Les recettes furent énorme, quasiment £1000.
Elle chanta un duo avec Elisabeth Billington, spécialement composé à cette
intention, mais qui n'a pas survécu.
Gravure publiée par Werner &
Hood, 30 avril 1800.
Ruine et décadence : 1802-1833
Elle partit avec Florio, passant par
Paris où elle donna des concerts -on dit qu'elle y aurait gagné 12 000 francs-
passant par l'Allemagne - elle resta une semaine à Berlin en février 1803 où
elle donna un concert d'adieu et se produisit dans Der Tod Jesu de
Graun-, Francfort, Gotha, Weimar, Leipzig, Vienne.
Ils se fixèrent en Russie, chantant
tout d'abord à Saint-Pétersbourg, puis à Moscou (vers 1807).
En 1808, Florio fut arrêté à Moscou,
car on le confondit avec un Richard Florio qui s'était répandu en libelles
contre le Tsar Alexandre. Ils reçurent des cadeaux somptueux quand on s'aperçut
de la méprise.
Les extravagances de Florio et
l'incendie de Moscou en 1812 où Mara avait investi toutes ses possessions, la
ruinèrent. Florio avait essayé de spéculer en investissant dans des brevets
musicaux, et les pianofortes, mais ne réussit qu'à se ruiner davantage. Il
engrossa une servante russe, que Madame Mara envoya à Londres avec son enfant,
mais la jeune femme retourna à Moscou où Florio recommença sa liaison avec
elle.
Florio mourut en 1819 à Moscou, dans
un état mental instable, refusant toute nourriture pendant trois semaines,
pensant que Gertrud Mara voulait l'empoisonner...
Peu de temps après la mort de
Florio, elle tenta de faire un retour en Angleterre. Elle avait soixante-douze
ans... On annonça son concert, qui eut finalement lieu le 16 mars 1820, au
King's Theatre. Les annonces avaient été mystérieuses, indiquant une "fort
célèbre chanteuse, qu'il était impossible de nommer encore". Le concert
fut un échec total ; il ne lui restait plus aucune voix, même si "elle
avait encore le pas ferme, et se tenait très droite". Les critiques furent
indulgents, en souvenir de sa gloire passée : "Nous préférons ne pas nous
étendre sur les ruines de la grandeur évanouie, et aurions été bien plus
heureux de n'avoir gardé que les souvenirs de la puissance, de la grandeur et
du pathétique de cet art qui se manifestait autrefois dans les concerts de
Mara." On nota que "le pouvoir et la douceur se sont évanouis, mais
la correction de son goût est toujours apparent".
On trouve néanmoins mention de sa
participation sur un livret milanais de I Crociati a Tolemaide de Pacini
(créé à Trieste en 1828), dans le rôle de Argene !
Quittant l'Angleterre
définitivement, elle s'installa à Reval -maintenant Talinn, en Estonie-, et
vécut de leçons de chant auprès de l'aristocratie locale (elle fut souvent
l'hôte du baron Kaulbars), et y mourut le 20 janvier 1833.
En 1831, Goethe lui dédia un second
poème, "Sangreich war dein Ehrenweg", qui fut mis en musique
par Hummel, et qui lui fut envoyé avec le premier poème composé en 1771.
"A Madame MaraPour un heureux anniversaire,Weimar, 1831Riche en chants était ton chemin glorieuxGonflant toutes les poitrinesMoi aussi je chantai le long des routes et desSentiers, égayant chaque effort, chaque pasPrès du but, je songe aujourd'huiA ce temps si doux ;Sens avec moi combien je me réjouisDe te saluer et de te bénir."(Traduction de Roger Blanchard et Roland de Candé)
Détail de l’affiche d'un concert à bénéfice du 9 juin 1796.
Photographie © DR (Collection E. Pesqué)
Photographie © DR (Collection E. Pesqué)
Bibliographie
Parmi les
biographies et notices anciennes sur Gertrud Mara, on lira pour son intérêt
historiographique la notice de Fétis (Fétis, FJ. Biographie
universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique. (Tome
Cinquième) , Paris ; Firmin Didot, 1863, pp.434-438) qui cite
certaines anecdotes que reprendront par exemple Creathorne Clayton (Creathorne
Clayton, Ellen. Queens of Song Being Memoirs of
Some of the Most Celebrated Female Vocalists. New York, Harper & Bros, 1865.) et Ferris (Ferris, George T. Great Singers, First Series :
Faustina Bordoni To Henrietta Sontag New York : Appleton, 1891.
La légende est en marche...
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